Plus de 3 ans après son dernier chef-d'oeuvre, David Robert Mitchell revient avec Under the Silver Lake, un thriller hollywoodien néo-noir tragi-comique, sélectionné officiellement à Cannes.
Aborder ce film est aussi labyrinthique que le long-métrage lui-même, tant ce nouveau bijou se révèle dense : sous ses airs de film d'enquête pop et schizophrène, l'histoire nous montre Sam, un éternel adolescent de 33 ans au chômage, en voie de clochardisation et épiant ses voisines tel un James Stewart, faisant la rencontre un beau jour de Sarah, une Marylin Monroe génération Y (Riley Keough est parfaite), dont la disparition soudaine sera le début d'une longue escapade burlesque dans un Los Angeles hautement fantasmé, au même moment où un mystérieux tueur de chiens sévit dans la belle ville californienne.
Andrew Garfield livre encore une fois une performance admirable, très proche de ses débuts dans Boy A, en campant un anti-héros nonchalant, somnolant, attardé et gauche, biberonné à la pop-culture, qui va peu à peu se plonger dans une enquête haute en couleurs, truffée d'indices obscurs et de patterns perdus dans des boites de céréales ou des vinyles (l'utilisation de How to Marry a Millionnaire relève du génie). Son allure de grand dadais un peu perdu n'aura jamais été aussi bien mise à contribution.
David Robert Mitchell continue après The Myth of the American Sleepover et It Follows sa dépiction de l'adolescence comme une malédiction, où sexe, violence, désillusion et paranoïa se mêlent dans une vision nihiliste. Cette quête identitaire d'un personnage qui ne sait plus à quel moment ça a foiré est parfaitement mêlée à une description de la civilisation qui l'entoure, où tout le monde est perdu dans une utopie lointaine.
Entre ses sectes new age, ses prostituées carnavalesques, ses hipsters superficiels, ses voisines habillées comme dans un porno ou ses individus de la haute société érigés en pantins dans des fêtes décalées, Los Angeles ressemble à un gigantesque théâtre humain libidineux au-delà d'un ville de cinéma pure. Un fabuleux décor incitant à un voyage initiatique halluciné, où le réalisateur cite Lynch, Hitchcock, De Palma ou Altman, ainsi que bon nombre de références au jeu vidéo, aux comics, la publicité ou à la musique, autant de pièces dans cet échiquier géant labyrinthique en proie aux souvenirs subliminaux et messages cachés.
La manière de filmer les rues ou ses habitants renvoient à Mulholland Drive, le côté thriller à Vertigo, Fenêtre sur Cour ou Blow Out, la déambulation et le ton peuvent faire penser à The Long Goodbye ou Southland Tales, mais on est véritablement dans un film de David Robert Mitchell, qui digère un nombre incalculable d'oeuvres pour fournir un film unique, sorte de polar LA noir cathartique et terminal, somme de tout un pan du cinéma.
Chaque rencontre est une étape de plus et la description de personnages tous plus barrés ou perdus que les autres, dans un environnement où poésie et trivialité se mêlent, chasteté et sexe cru, ou encore réel et irréel. En résulte donc un récit prenant, exigent mais terriblement riche, avec une vraie rhétorique métaphorique souvent pince-sans-rire où l'absurde rencontre la comédie noire, comme cette séquence spéciale "théorie du complot" chez un individu reclus chez lui collectionnant les sculptures de visages célèbres.
La mise en scène est un pur délice, entre mouvements fluides, travelings déstabilisants ou plans longs aériens et plein de grâce, chaque image transpire le cinéma, magnifié par la photographie sublime de Michael Gioulakis (It Follows, Split, Glass, Us). Disasterpiece, déjà auteur de l'OST de son précédent film, revient dans une composition digne de l'âge d'or 50's-60's, le tout parvenant à apporter une atmosphère étrange, excitante, effrayante et enigmatique.
Rupture de tons, richesse thématique, narration ambigüe, accumulation de pistes,
scènes enivrantes et délires métaphysiques...on pourra pinailler sur la destination, moins marquante et intéressante que le voyage en lui-même, mais ce serait oublier la cohérence absolue du propos et de l'expérience unique que représente cette plongée sous le Lac d'Argent, et la preuve que David Robert Mitchell est un cinéaste à suivre de très près.
Under the Silver Lake est un film singulier, à la beauté spectrale fracassante et organique, 2h20 de proposition de cinéma audacieuse...une pépite.