Le trouble adolescent semble être le principal gagne-pain du réalisateur David Robert Mitchell, qui apprécie sa richesse morale. Il aborde toujours ces films avec obsession, et ne manque pas de rappeler que c’est ce qui constitue exactement son squelette scénaristique. Cependant, on peut distinguer ses précédentes œuvres par des exercices de style particuliers. Dans « The Myth of the American Sleepover », c’est un brin de folie et de mélancolie qui s’abat sur les pulsions des personnages et dans « It Follows », c’est le mariage entre le fantastique et l’horreur qui alimente les erreurs et les angoisses de l’adolescent. Autre chemin ici, tenant plus de l’hommage sur ce coup, on s’installe dans un univers noir, décalé et déjanté. Il sera davantage question de spirale de non-sens dans une société qui n’encourage pas ses locataires, elle ne fait que les noyer dans leur fantasme les plus profonds.
Andrew Garfield incarne un Sam, homme lambda d’un Los Angeles contaminé par les vices et le désir. Sa condition fait qu’il passe à côté d’un monde qui ne lui est pas destiné et il finit par s’enrôler dans un road-trip contre son gré. Il n’y a pas de violence quant aux décisions qu’il prend au fur et à mesure, ni de remords, cependant sa force mentale le pousse à la curiosité, chose qui reste encore acceptable. On découvre une ville, ses mythes, ses secrets, ses blessures, sa sensibilité et son âme peu accueillante et encourageante. C’est pourquoi il finit par prendre en main ce qui le perturbe. Son traitement est assez similaire à la fresque de « Mullholand Drive », où l’abstrait et les spéculations manipulent l’esprit du héros et des spectateurs par la même occasion.
Entre théorie du complot et symbolisme à tout-va, il y a peu de places aux sceptiques. Le récit n’interroge pas pour autant nos croyances, mais il préfère mettre en évidence les failles et le caractère enivrant de ces dernières. La pop culture est d’ailleurs retournée dans tous les sens, afin de nous faire douter et nous faire prendre conscience qu’il existe d’autres niveaux de perception. La réalité est instable dans ce film qui éparpille les références, mais qui néanmoins, grade toujours un œil sur l’objectif, à savoir définir la théorie du Silver Lake. À quel niveau faudrait-elle la placer ? À qui peut-on se fier ? Les ragots sont-ils crédibles ou faut-il les repousser ? Il y a un important recul à avoir face à des thématiques aussi ouvertes et nous n’avons clairement pas le temps d’y consacrer toute notre concentration dessus, alors que l’œuvre nous offre également un divertissement de qualité. Théâtrales et surtout immersives, les transitions arpentent l’état d’esprit de Sam, son côté playboy et blasé de la vie. À ses côtés, on pourrait manifestement croire au désespoir et à la fatalité de l’homme à sombrer au fond de la routine qu’il s’est intuitivement créée. La technologie, la culture, les enjeux et les opportunités. C’est en restant ouvert à la négligence que la racine du mal a pu prendre forme dans la cité des anges, à présent déchus pour leur comportement qui n’aboutit évidemment pas à ce qu’on aurait pu attendre de l’idéal américain ou Hollywoodien.
En somme, « Under The Silver Lake » est l’antithèse parfaite de « La La Land ». Los Angeles est un paradis noir, que l’on ne peut dompter malgré l’ambition, la fortune et l’espoir. Il n’y a que la perversion, la corruption et le fantasme qui sévit chaque parcelle de terre ou d’air qui constitue cette atmosphère ambiguë et vertigineuse. La quête du bonheur est superficielle, chaque intervenant évoque le profil qui lui convient. S’enfermer dans un tourbillon de haine, de dépendance permet de combler un manque évident. Comme des chiens enragés, tout le monde devient le parasite de son quotidien. Le for intérieur est devenu un phénomène de société qui se transmet par l’influence et la foi est renversée par la tendance de l’envie. La femme est une arme sentimentale destructrice et l’homme reste la dernière victime de son affection.