À un moment du film, Adonis Creed part s'entraîner dans un endroit où "les boxeurs tombés à terre repartent à zéro" dixit Rocky Balboa. Sans forcément avoir un mauvais esprit, on peut imaginer que les scénaristes de ce "Creed II" (désolé, ami Sly) devraient sérieusement aller y faire un tour vu le vide abyssal de tout ce qui a précédé pour en arriver là...
En nous contant la manière dont Adonis Creed allait entrer dans la légende au côté et non plus dans l'ombre de son père, "Creed" premier du nom avait réussi l'impensable : faire revivre l'essence même de la saga "Rocky" à l'écran tout en parvenant à l'inscrire dans les codes de notre époque. Tous les ressorts avaient beau être connus donnant presque des faux-airs de remake à ce spin-off, Ryan Coogler pourfendait admirablement le problème par le bol d'air frais qu'il déversait sur ce genre de récit très codifié, allant même jusqu'à nous donner l'impression d'y assister pour la première fois. Bien sûr, il y avait ce nouveau héros enragé par sa passion pour la boxe et sa quête de reconnaissance face à une figure paternelle écrasante, le personnage d'Adonis Creed ravivait clairement les cendres les plus incandescentes de la saga "Rocky" en trouvant la voie de sa propre destinée, mais, comme dans un petit miracle d'agencement scénaristique, tout ce qui l'accompagnait dans le déroulement de sa montée en puissance de boxeur fonctionnait et ce, même si la subtilité n'était pas forcément de mise. L'amour naissant entre Adonis et Bianca, une musicienne sourde, apportait une jolie dose d'émotion non feinte, les phases d'entraînements et de doutes s'enchaînaient avec un réel souci de justesse, les combats plaçaient le spectateur au coeur du ring comme jamais grâce à l'énergie apportée par Coogler derrière la caméra (des entrées des boxeurs à la percussion de leurs coups, chaque plan paraissait toujours conçu pour nous impliquer au maximum), la bande originale symbolisait parfaitement la frontière entre deux époques en nous emportant grâce au souvenir de quelques notes... Et il y avait lui, Rocky Balboa, une légende usée, malade, qui avait vu tomber tous les vestiges de son existence jusqu'à la condamner à une solitude chargée d'une infinie mélancolie. La rencontre entre la fougue du boxeur incarné par Michael B. Jordan et cette figure indéboulonnable se confondant avec son interprète (un fameux discours introspectif sur son mythe semblait tout autant parler de l'héritage de Rocky que de celui de Sylvester Stallone) était incontestablement la plus belle réussite de ce spin-off et on était déjà prêt à remonter sur le ring avec eux pour les retrouver à nouveau.
Devenu l'égal de son père, Adonis Creed se devait désormais de le surpasser et, pour cela, quoi de mieux que d'aller frotter ses poings face au fils de celui considéré comme le bourreau d'Apollo dans "Rocky IV", Ivan Drago ?
On comprend assez vite l'idée qui anime l'ADN de ce deuxième volet : tenter de dessiner une forme de tragédie familiale cyclique où chaque erreur du passé est amenée à se répéter jusqu'à être corrigée. Cela se présente d'ailleurs sous les meilleurs auspices pendant les premiers instants, impossible de ne pas vibrer devant nos retrouvailles avec la sombre aura se dégageant d'Ivan Drago (le charisme de Dolph Lundgren suffit amplement) et lorsque l'annonce d'un match revival entre son fils Viktor (Florian Munteanu, un boxeur/acteur mono-expressif) et Adonis Creed est inéluctable, tous les astres paraissent alignés pour que l'on prenne autant de plaisir devant cette suite que lors de la découverte de son prédécesseur. Dommage que nos espoirs soient si vite annihilés...
Comme le premier, "Creed II" va reprendre un squelette narratif éculé de la saga "Rocky" pour son héros (sommet/chute/re-sommet) mais va cette fois complètement échouer à nous en éluder sa part de prévisibilité. Alors que Ryan Coogler avait fait tout son possible -avec réussite- pour y insuffler de la modernité, l'inconnu Steven Caple Jr, lui, mise sur cette seule ossature de son récit sans chercher à aucun moment à la réactualiser et ça ne pardonne pas car, si l'esquisse d'une vraie tragédie dans le milieu de la boxe fait illusion lors de l'ouverture, absolument rien ne va venir apporter de la profondeur à cette démarche. Le couple Adonis/Bianca ? Comme il n'y a apparemment plus grand chose à raconter dessus, on leur inflige les rebondissements d'une mauvaise sitcom pour éviter de les faire stagner
(mariage, heureux évènement et une bonne dose de pathos en prime)
et les deux personnages empilent les scènes de dialogues d'une platitude confondante. Rocky Balboa ? Toujours aussi imposant bien entendu mais, passée la souffrance de le voir revivre le match qui a coûté la vie à son ami, le boxeur devenu entraîneur va errer dans le film comme une âme en peine. Entre renouer avec son fils et réparer un réverbère, la carcasse de Rocky déambule la majeure partie du temps dans des pièces vides afin de bien surligner au marqueur sa solitude ou de démontrer qu'il n'a plus vraiment sa place dans cette histoire. Ivan Drago et son fils Viktor ? La déchéance face à leur patrie était une piste très intéressante mais non, le film va bifurquer en cours de route vers un trauma familial en miroir du clan Creed et celui-ci va donner un nombre incroyable de scènes involontairement drôles par la psychologie grossière sur laquelle il repose. Avec en leur centre l'apparition d'une guest du passé, les dialogues et les plans faciles hilarants (la chaise vide, haha) autour des motivations animant le clan russe confinent au ridicule,
un "Môôôman" prononcé par un certain personnage les yeux embués de larmes aurait d'ailleurs pu en être la cerise sur le gâteau.
Bref, pendant les trois quarts de sa durée, "Creed II" tente de remplir vainement les temps morts entre les trois étapes-clés de son récit et se plante constamment en choisissant les directions les plus faciles jusqu'à lui donner des allures de mauvais soap-opera gentillet. À ce stade, on en arrive à un point qu'on n'aurait pas cru possible après l'excellence du premier film : "Creed II" ne nous assène que des uppercuts d'ennui ou de rires nerveux.
Heureusement, avec l'entraînement que l'on évoquait en préambule, la dernière partie du film revient aux fondamentaux de la saga et nous offre enfin un spectacle dans la lignée du premier opus. La remise en condition d'Adonis et le duel final tant attendu tiennent toutes leurs promesses, peut-être pas assez pour oublier le néant qui les ont précédé mais suffisamment pour retrouver l'intensité que l'on était venu chercher. De l'entrée des combattants dans l'arène russe à un match savamment dosé en matière de rebondissements (Steven Caple Jr semble aussi se réveiller derrière la caméra), "Creed II" rattrape une partie de ses errements avec ce morceau de bravoure en forme de boucle bouclée à la hauteur de tout ce que l'on pouvait imaginer d'un affrontement entre la descendance Creed/Drago.
Mais il aura fallu tellement en baver avant d'arriver à cette récompense devant cette suite cherchant à raconter artificiellement quelque chose là où le précédent déroulait son récit avec tant de spontanéité. Indissociable du départ de Ryan Coogler comme auteur et réalisateur, la perte en qualité de "Creed II" en fait un film complètement anecdotique, gâchant bien trop souvent nos espérances sur la manière d'aborder les meurtrissures des clans Creed/Drago. Ce qui aurait dû être un long-métrage sur des hommes, de simples mortels pris dans l'étau de leurs propres gloires et chutes passées ou non, ne sait jamais où nous emmener au-delà de son schéma scénaristique dépassé. L'apothéose du combat final aura au moins été au rendez-vous mais elle ne masquera qu'une infime partie de notre déception...