La fin de carrière de Sylvester Stallone a décidément tout de ses débuts prodigieux, et rien de l'entre-deux désastreux période Reagan : après deux réalisations solides (Rocky Balboa et John Rambo) élevées à l'époque comme de dignes conclusions des deux mythes de sa carrière, l'année 2019 aura apporté aux deux sagas leur véritable point de chute : Rambo : Last Blood (brutal et jouissif) et Creed II, que le premier ne sous-entendait pas spécialement mais qui porte au firmament la destinée de son personnage phare.
Ryan Coogler en moins, le principe reste le même, le casting aussi; la relation père/fils spirituel en point d'encrage, s'érigera une menace venue de l'Est sous forme d'antagonisme en miroir : Ivan Drago (Dolph Lundgren) entraînant son fils Viktor (Florian Munteanu) suit le cheminement inverse de Creed et Balboa. Là où ces derniers devront se retrouver pour mieux se battre, les Drago doivent se perdre, faire fit de tout ce qu'ils ont été jusqu'ici.
Les uns se battent pour l'amour du sport, les autres pour gagner; violents, instinctifs, les ukrainiens partagent ce même complexe d'infériorité causé par la honte de la défaite de Rocky IV (auquel Creed II donne du sens, de la cohérence et de la profondeur; grand tour de force), et le départ de l'épouse mère, Brigiette Nielsen, ancienne compagne de Stallone qui incarne ici la femme qu'elle était pour lui à l'époque : volontairement ou non destructrice de sa carrière, de son personnage cinématographique, dont l'ombre approchait tous ses projets, et présente à l'apogée de l'égocentrisme de Stallone.
Une apparition fantomatique, un spectre du passé venu donner forme au passé tumultueux de la star, à cette traversée du désert peu recommandable en termes cinématographiques; c'est l'occasion pour Sly de tirer un trait sur cette période de déchéance qui faillit bien couler sa carrière. Occasion aussi pour Dolph Lundgren de revenir après avoir frôlé la gloire à la sortie de Rocky IV, et d'avoir vu de suite après sa carrière s'effondrer dans les dtv et séries b de bas étage.
A la manière de Drago, risée de son pays pour avoir perdu contre le grand ennemi de la Russie au paroxysme de la Guerre Froide, Lundgren n'aura pas su se défaire à temps du rôle qu'on lui adossa des années durant : en période reaganienne, difficile était la tâche pour qui voulait s'extirper d'un premier rôle populaire de grand adversaire de l'Amérique vaincu par l'une de ses icônes les plus célèbres et représentatives.
D'où l'impression de voir dans Creed II l'offrande d'une deuxième chance : c'est qu'on le croirait presque destiné à la famille Drago plus qu'à celle de Creed. Faut dire que le premier avait à ce point tout raconté sur le personnage que celui-ci donne l'impression de vouloir réinventer l'eau chaude en reprenant des thèmes déjà bouclés (cet héritage ressorti d'outre-tombe au retour des Drago fait office de redite prévisible), qu'il assimile à d'autres plus superficiels et sans grande envergure (le mariage, l'inévitable séparation avec l'entraîneur pour justifier la première défaite comme source de détermination pour remporter le combat final).
Du côté des ukrainiens, c'est une toute autre pair de manche : le sujet concernant la famille, le réalisateur y évoque des des thématiques qui lui sont visiblement plus chers que les apports banals à la personnalité de Creed, plus proches des demandes des studios que de l'écriture habituelle et sensible de Stallone (allez voir celle de Rocky Balboa et Creed, si vous n'y croyez pas). Plus humaine mais aussi beaucoup plus brève, cette partie de l'intrigue laisse planer un certain doute sur la validité de l'intrigue.
Parce qu'on en vient à se demander, à voir le soin apporté au développement de leur relation père/fils basée sur la brutalité, l'absence de discussion, d'états-d'âme et de sensibilité, et le peu de choses de ce niveau racontées dans l'axe narratif principal si le but n'était pas de faire, à l'origine, un film intitulé Drago; n'essayons pas d'imaginer la beauté d'une oeuvre basculée au point de vue du fils du grand ennemi des Creed et de Balboa : c'est trop douloureux.
Remercions cependant cette version de nous avoir offert, malgré son manque de finesse du côté des Creed (encore que la mise en scène humaniste de Steven Caple Jr rende justice à la profondeur des protagonistes du premier épisode), une conclusion sublime, inattendue, sans doute la plus belle, aboutie et émouvante de la carrière de Stallone :
Rocky, dans un élan cathartique très touchant, retrouve son fils et Stallone le petit-fils qu'il aurait pu avoir, dans une scène onirique où l'acteur transmet au monde le remord qu'il a de n'avoir pas pu vivre cette scène de retrouvailles familiale.
Et l'on se souvient des paroles prophétiques de Rocky dans Rocky Balboa, son ultime combat : Y’a de vraies tempêtes, de lourdes épreuves aussi grand et fort que tu sois la vie te mettra a genoux et te laissera comme ça en permanence si tu la laisses faire. Toi, moi, n’importe qui, personne ne frappe aussi fort que la vie, c’est pas d’être un bon cogneur qui compte, l’important c’est de se faire cogner et d’aller quand même de l’avant, c’est de pouvoir encaisser sans jamais, jamais flancher. C’est comme ça qu’on gagne !
Stallone expose ici son droit à ne pas laisser la vie détruire la sienne, et c'est par le cinéma que les disparus retrouveront la vie.