Yann Gonzales propose quelque chose de vraiment peu commun avec « Un couteau dans le cœur », étrangement sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes cette année (alors que vu la teneur du film on l’aurait plutôt vu en séance de minuit). Un film qui a du interpellé le jury et ne pas le laisser indifférent malgré le fait qu’il n’ait pas reçu de prix. C’est un bien curieux mélange de cinéma suranné, d’hommage au(x) cinéma(s) bis des années 70 et 80, de thriller, de parodie, de plongée dans le milieu interlope gay de l’époque et d’érotisme, tout cela mâtiné d’une bonne dose d’onirisme et de fantastique. Et oui, tout ça à la fois! Un vaste programme en somme pour une production baroque qui flirte parfois avec le giallo à l’italienne et qui tient toujours en équilibre mais ne tombe jamais! C’est peut-être étonnant - et il faut avouer que le film ne plaira pas à tout le monde – mais tout cela fonctionne une bonne partie du temps et on est absorbé dans ce drôle d’univers durant plus d’une heure et demie. Le film tient la route sur la durée que ce soit narrativement comme sur son versant esthétique.
Gonzales convoque tout un certain imaginaire du spectateur (qu’il ait connu cette époque ou qu’il l’ait fantasmée) ainsi que tout un pan d’un cinéma aujourd’hui révolu. Parfois, à la limite de la caricature et du ridicule, il réussit cependant à y échapper grâce à un amour que l’on sent véritable pour toutes ces peloches oubliées d’un septième art marginal, adoré par les puristes comme vénéré par les connaisseurs. Si l’intrigue criminelle a tout du prétexte et qu’elle ne tient pas toujours la route (certaines déductions des personnages et avancées de l’enquête tiennent trop du hasard), on est quand même relativement tenu en haleine par sa résolution. On a également droit à quelques notes d’humour bienvenues, en majeure partie dues aux répliques du personnage d’Archibald incarné par l’inénarrable Nicolas Maury et sa voix si caractéristique, qui détendent une atmosphère volontairement glauque et poisseuse. Si Xavier Dolan devait avoir un petit frère turbulent et diabolique, le réalisateur français en serait la personnification parfaite.
Mais là où le cinéaste frappe dans le mille c’est au niveau formel. Si, parfois, certaines scènes semblent tout droit sorties d’un vieux clip de Mylène Farmer, cela colle parfaitement au propos et au contexte gay du film. Et l’imagerie très Pierre & Gilles, trash et dark, sied comme jamais à « Un couteau dans le cœur ». Il nous assène certains passages totalement hypnotiques à l’esthétique léchée et emballée par une bande originale adéquate, particulièrement les scènes de clubs (celle dans la discothèque lesbienne et la première scène de meurtre dans un cruising bar gay). D’ailleurs, lorsque le long-métrage se mue en slasher avec des meurtres bien sordides et violents, c’est du tout bon tant ils sont originaux dans leur mise en scène et leur exécution. Il y a bien un petit ventre mou dans la seconde partie mais l’investissement du casting dans ce film, pareil à nul autre, fait plaisir à voir. Une succession d’éphèbes, de gueules de cinéma (de Yann Collette, inoubliable dans « La Maison assassinée » à Jacques Nolot) et de retour imprévu mais délicieux (Romane Bohringer) dominée par une Vanessa Paradis peroxydée qu’on a plaisir à revoir dans un premier rôle, surtout si déjanté que celui-là. Une célébration d’un certain cinéma, du méta-cinéma presque, pour un curieux mélange de sexe, de violence et de poésie qui marque durablement les esprits.
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