Une psychotique qui prend son pied en donnant du LSD à des familles londoniennes à leur insu pour les entraîner dans ses délires chantés ? La déesse de l'entretien domestique en virée sur Terre pour aider les pauvres mortels ? Ou tout simplement la nounou magique que tout enfant rêverait d'avoir ? C'est bien entendu la dernière hypothèse (quoique la première...) qui est à privilégier pour saluer le retour de Mary Poppins redescendue des cieux cinquante quatre ans après avoir redonné une première fois le sourire à la famille Banks. Cette fois, Miss Poppins vient donner un coup de main à ses anciens petits protégés, Michael et Jane Banks qui, malgré tous les conseils magiques reçus pendant leur enfance, ne peuvent pas grand chose contre la Grande Dépression qui touche la capitale anglaise dans les années 30. Veuf et encore endeuillé par la disparition de sa femme, Michael élève tant bien que mal ses trois enfants et subvient aux besoins de la famille en ayant abandonné ses aspirations artistiques pour devenir un employé de la banque où travaillait son père autrefois. Malgré le soutien de Jane, militante travailliste acharnée (une vocation politique héritée de sa mère qui se battait pour les droits des femmes), l'équilibre de la famille connaît sa plus rude épreuve lorsque deux huissiers frappent à la porte en déclarant vouloir saisir la maison si Michael ne retrouve pas le certificat d'actions de son père, seule moyen de rembourser ses dettes et de conserver sa propriété. Dans ses recherches pour mettre la main sur le document, Michael tombe sur le cerf-volant de sa jeunesse qui, par un coucours de circonstances (forcément extrordinaires), va ramener Mary Poppins auprès d'eux...
Ne nous voilons pas la face, ce "Retour de Mary Poppins" a peut-être les apparences d'une suite en adaptant très librement un nouveau volet de la série de romans de P. L. Travers, en réalité, le long-métrage de Rob Marshall mise énormément sur la nostalgie du film culte de Robert Stevenson qui a bercé, berce et bercera encore des générations d'enfants pendant des années. On y reviendra peu après mais, en plus d'une avalanche de clins d'oeils plus ou moins explicites, la conception de cette suite -de ses numéros musicaux à son intrigue globale- paraît toujours pensée en résonance du film originel.
Cela fonctionne très bien dans un premier temps, la magie indissociable de l'imagerie Mary Poppins est bel et bien là et ne peut que nous emporter avec elle. Renouer avec ce décor si familier de ce quartier de Londres où le fameux amiral Boom fait résonner des coups de canon pour signaler l'heure en même temps que Jack (chargé d'allumer les réverbères de la ville et apprenti/équivalent du ramoneur Bert du premier film) pousse la chansonnette dans la rue réveille instantanément nos yeux d'enfant. Nos retrouvailles avec la famille Banks et la nouvelle génération qui peuple la maison sont tout aussi plaisantes (mention spéciale à Georgie l'adorable cadet casse-cou incarné par le petit Joel Dawson) en jouant sur la pure comédie du fracas de ce quotidien naïf et des notes plus noires lorsque Michael exprime en musique le manque de l'être aimé.
Et puis, il y a celle que l'on attendait tous au tournant, Emily Blunt succédant à Julie Andrews dans un de ses rôles les plus emblématiques. Autant le dire tout de suite, Blunt est parfaite : sans forcément singer son modèle, elle en adopte les mimiques incontournables tout en appuyant un peu plus sur l'ambivalence du personnage entre sa rigueur et sa bienveillance (même si le personnage reste dans une optique très disneyienne, l'interprétation de Blunt le rapproche néanmoins un poil de sa version papier bien plus psychorigide).
Si Julie Andrews sera difficilement remplaçable dans la mémoire collective lorsque l'on évoquera Mary Poppins, il est fort probable que le visage d'Emily Blunt l'accompagne désormais dans nos souvenirs. Toute la partie concernant son arrivée et sa réunion avec la famille Banks sert d'ailleurs tout autant à icôniser habilement la nouvelle actrice dans le rôle que raviver la flamme de nos souvenirs enfantins à travers ses tours de magie improbables.
C'est d'ailleurs là que l'approche très respecteuse de Rob Marshall vis-à-vis du premier film marche aussi le mieux. Loin de céder à tous les effets modernes, le cinéaste reprend les cadres fantasques de l'original (en les réactualisant quelque peu tout de même) pour nous y replonger avec le même charme intemporel de conte où tout peut arriver et à jamais attaché au personnage de Mary Poppins. Aucune difficulté à comprendre le regard émerveillé des enfants du film, "Le retour de Mary Poppins" nous colle le même dès que la dame met le pied dans la demeure des Banks. On se retrouve ainsi propulsé d'un monde nautique au fin fond d'une baignoire jusqu'au fameux univers coloré de cartoon crayonné en 2D que l'on prend un plaisir instantané à redécouvrir en chansons (les manchots et les flamands roses sont aussi de la partie, comment résister ?). Vu le nombre de sourires nostalgiques que cette première partie procure, il est presque impossible de nier que Rob Marshall a réussi à retrouver, et mieux, nous contaminer à nouveau avec l'imaginaire de Mary Poppins a priori sans limites.
Mais la magie ne marche hélas qu'un temps...
"Le Retour de Mary Poppins" devient en effet assez vite victime de sa formule en voulant à tout prix décalquer son modèle à chaque séquence. C'est bien simple, chaque péripétie, numéro musical et décor visité de ce nouveau long-métrage ne sont qu'une sorte de répétition ou de prolongement d'un temps fort du film originel et, une fois cette mécanique d'entre-deux suite/remake révélée, il devient beaucoup plus difficile de se laisser investir par ce qu'il se passe à l'écran. Surtout qu'à ce jeu, Rob Marshall a dû mal à tenir la comparaison : les nouvelles chansons sont bien moins marquantes et le choix d'une vision anachronique assez judicieux pour nous réintroduire à cet univers dans ses prémices laisse place au classicisme d'une mise en scène finalement très convenue. Rob Marshall est un excellent chorégraphe, il le prouve d'ailleurs avec ce fabuleux numéro de Jack (incarné par la star de Broadway, Lin-Manuel Miranda) au milieu d'un parc renvoyant évidemment à l'incontournable ballet des ramoneurs du premier film (et également à des classiques de la comédie musicale) mais, côté réalisation, le cinéaste donne simplement l'impression de surfer sans génie sur l'énergie qui en émane là où on aurait aimé tellement plus de folie (comme faire naviguer la caméra au milieu des danseurs pour nous immerger un peu plus au coeur de leurs mouvements), c'est justement un des rares points où ce "Retour de Mary Poppins" aurait gagné à être modernisé avec un nouveau souffle visuel.
En l'état, guidé par une intrigue sans grande consistance, le film se contente d'enchaîner les numéros musicaux agréables mais en majorité oubliables à l'instar de celui de Topsy (Meryl Streep), cousine de Mary Poppins, faisant écho et ne parvenant jamais rivaliser avec la fameuse visite chez l'oncle Albert de son modèle. La magie repointera quelques fois le bout de son nez mais c'est surtout lors de la dernière partie introduite par la danse de Lin-Manuel Miranda que l'on évoquait qui renouera avec la réussite nostalgique des premiers instants en faisant apparaître l'incontournable Dick Van Dyke et Angela Lansbury dans des séquences bien plus imaginatives que les autres car réveillées par une réelle ambition inédite.
Pour un film chantant les pouvoirs de l'imagination, il est fort dommage que celui-ci en soit si peu friand pour sa relecture du long-métrage culte de Stevenson. Rassurez-vous, si vous êtes venus chercher les effets d'une madeleine de Proust sur grand écran, "Le Retour de Mary Poppins" vous en délivrera suffisamment pour réveiller votre âme d'enfant mais sa propension à vouloir rester en permanence sur la route déjà tracée par son prédécesseur laisse peu de place à un résultat véritablement conséquent. Cette nouvelle virée de Mary Poppins sur Terre a pourtant de la magie dans ses bagages, notamment grâce à sa nouvelle interprète, mais elle ne nous la fait goûter que par intermittence.