Cela fait des semaines que le dernier film de François Ozon est sorti dans nos salles. Des semaines aussi que nous manquions le rendez-vous avec ce cinéaste que nous apprécions tant. Aussi, c’est avec une joie non dissimulée que nous nous sommes callés dans les fauteuils rouges de notre cinéma pour un voyage dans le temps et en noir et blanc…
« Frantz », c’est un drame qui nous fait sombrer (nous-aussi) dans la noirceur de l’après-guerre où Français comme Allemands gardent de la rancœur les uns pour les autres. Dès lors, quand Adrien Rivoire vient dans un petit village allemand fleurir la tombe de son ami français, cela ne peut que déplaire à la population locale. Mais qui est véritablement Adrien? Pourquoi vient-il sur cette « tombe » ? Qu’est-il véritablement venu chercher ? Le suspense est loin d’être intenable et on se fait très vite sa petite idée… mais qu’importe, ce n’est finalement pas le nœud de l’histoire et ce volet ne constitue qu’une petite partie de l’intrigue. Elle permet de s’interroger sur qui était Frantz également, ce soldat pacifiste embarqué dans une guerre qu’il ne voulait pas. Mais au-delà de tout çà, la véritable aventure est sans aucun doute celle qui anime Anna et qui sera tout aussi emblématique que celle présentée dans les premières minutes. Le dernier film de François Ozon n’est pas une idée originale puisqu’il s’inspire de la pièce de Maurice Rostand, déjà adapté dans les années 30 au cinéma mais qu’importe, il s’est approprié le sujet et nous le livre avec une habilité et un professionnalisme qui n’est plus à démontrer.
Pour illustrer son propos, Ozon opte ici pour des tons gris, à l’image du désespoir des personnages. Seuls les souvenirs et quelques moments de joie colorent véritablement la pellicule. Si nous pensions à un choix réfléchi, nous avons appris que cette volonté de tourner en noir et blanc venait davantage d’un choix budgétaire qu’artistique (en effet, reconstituer des décors d’époque coûte cher et le monochrome permet aisément de dissimuler certaines approximations). Il n’en reste pas moins que l’époque est merveilleusement bien reconstituée ! Les costumes, les lieux fréquentés nous transportent dans un Paris et une Allemagne du début du siècle. La musique, discrète mais très à propos, tient malgré tout une place de choix dans la vie des personnages puisque Frantz comme Adrien sont de formidables violonistes.
Pour les besoins film, Pierre Niney (Adrien) a d’ailleurs pris quelques leçons pour être au plus près de son personnage. Et ce n’est pas sa seule prouesse puisque le pensionnaire de l’Académie française a appris à danser la valse et … à parler allemand ! Aidé par sa compagne de jeu, le jeune comédien nous bluffe lorsqu’il se met à parler la langue de Goethe. Très professionnel (comme toujours), cet « Homme idéal » revêt le costume d’Adrien avec beaucoup d’humilité et d’intensité. Fidèle à lui-même, Niney démontre une fois encore qu’il est une étoile montante du cinéma français. Bientôt à l’affiche du très attendu film « L’Odyssée » de Jérôme Salle, l’acteur enchaîne les rôles et les performances (on se rappelle de son interprétation magistrale dans « Yves Saint Laurent ») avec une aisance à faire pâlir de jalousie tous ses contemporains !
A ses côtés, l’incroyable Paula Beer. Très souvent comparée à Romy Scheider (et à raison !), la comédienne allemande de 21 ans (!) est sublime : fragile tout en étant tenace, gracile et forte à la fois, ce petit brin de femme nous donne une leçon de vie mémorable. Anéantie par le décès de son fiancé, Anna trouvera un peu de réconfort auprès de celui qui l’a connu les derniers mois de sa vie… à moins que tout ceci ne soit qu’une façade et une nouvelle occasion pour elle de périr à petit feu ? Personnage central de « Frantz », elle donne le ton au film et remet en cause toutes nos certitudes, ébranlant nos notions du pardon et de celles du courage. L’interprétation impeccable et mature de Paula Beer est sans aucun doute un argument de poids dans la réussite du seizième long-métrage du prolifique réalisateur. Pas étonnant d’ailleurs qu’elle ait reçu le prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir à la Mostra de Venise 2016 : pour un premier rôle dans un film français, on ne pouvait rêver mieux !
Dans la lignée de ce casting de choix, on trouve deux comédiens allemands excessivement touchants dans leur rôle : Ernst Stötzner et Marie Gruber, les parents de Frantz. On notera aussi la brève prestation de Alice de Lencquesaing , en Fanny, le personnage le plus moderne de tous de cette époque encore très conservatrice.
Ozon aime ses comédiens, c’est un fait certain : il les filme au plus près avec beaucoup de lumière (ce qui est encore plus incroyable vu qu’il a opté pour le noir et blanc, rappelez-vous) et une touchante pudeur. Jamais intrusive, sa caméra se pose à hauteur de leurs visages marqués par le passé, histoire de nous faire partager les confidences et les émotions qui animent ces personnages dans une intimité déconcertante. Si le film manque un peu de surprise (on peut facilement deviner la vraie facette des personnages malgré les quelques petits rebondissements proposés), il frôle néanmoins le sans faute ! Au-delà de ce qu’il a pu nous proposer ces dernières années, son dernier long-métrage fait partie de nos coups de cœur de la rentrée…Mais puisque nous n’avons jamais fait partie de ses détracteurs, on doit bien reconnaître que nous avions ici un parti pris et que notre avis subjectif ne sera peut-être pas le vôtre… A vous de vous faire votre idée, en poussant la porte de votre ciné !