Le film de François Ozon a tout pour rebuter d’emblée ! Je dois lui reconnaitre une vraie audace de présenter un long métrage en noir et blanc, sur un sujet douloureux (la mort est omniprésente dans ce film), pour moitié en langue allemande sous-titrée et au rythme parfois assez lent. On sait Ozon adepte des défis difficiles et des films différents (« Rickie » par exemple) et on sait qu’il a une vraie cote d’amour dans le cinéma français, côte d’amour que j’ai parfois du mal à comprendre, je l’avoue. Avec « Frantz », il fait le pari du noir et blanc, avec juste quelques passages en couleurs particulièrement choisi avec soin (en accompagnement du violon). Le procédé n’est pas nouveau, le noir et blanc donne une vraie gravité au sujet que l’on veut filmer et les courts passages en couleurs peuvent faire passer un message (d’optimisme ici) à certains moments du film. Décidément, « La liste de Schindler » de Steven Spielberg servira de référence encore longtemps sur cette question. Moi, honnêtement, même si je ne suis pas certaine d’en voir l’utilité (la sujet est déjà suffisamment grave sans qu’il soit vraiment besoin de l’appuyer avec du noir et blanc), ça ne me gène pas et je ne trouve pas cela rebutant. Surtout qu’Ozon soigne son film aussi avec l’utilisation de la musique, discrète, jamais envahissante et qui ne parasite pas les images. Certains plans sont très beaux, certaines scènes silencieuses sont parfaitement réussies (la seconde scène du lac). La reconstitution de l’Allemagne puis de la France sont également très belles, assez fidèles à cette ambiance particulière de l’immédiat après-guerre. La scène ultra courte où Anna traverse en train les paysages français ravagés (alors qu’en Allemagne, tout est intact) avec dans son compartiment une gueule-cassée est forte et n’a pas besoin de tirer en longueur pour faire passer l’idée de l’absurdité de la guerre. Le casting franco-allemand de « Frantz » ne se résume pas au couple Anna/Adrien campé par Paula Beer et Pierre Niney. Les seconds rôles, et particulièrement les parents endeuillés de Frantz sont des rôles assez écrits, notamment le rôle du père tenu par Ernst Stotzner. Ce vieux médecin, écrasé par le chagrin et la culpabilité d’avoir incité son fils à s’engager, lutte contre lui-même pour tolérer la présence de ce français qui lui apporte à la fois réconfort et douleur. Ce vieil homme bascule doucement du côté de l’humanisme alors que tellement de ses contemporains vont basculer de l’autre côté, c’est un beau rôle, parfaitement incarné. Pierre Niney est un acteur de talent dont le rôle est horriblement difficile. Il donne beaucoup dans en incarnant Adrien mais étrangement, sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi, je n’ai pas été convaincue à 100% par sa performance. Il m’a donné l’impression à plusieurs reprises de surjouer un tout petit peu : surjouer la fragilité, surjouer la maladresse, surjouer la malaise. Cela vient peut-être du fait qu’à côté, Paula Beer est impeccable et toujours d’une justesse totale. Cette jeune femme triste à mourir qui renait petit à petit au contact de ce français qu’elle aurait mille fois raison de haïr, c’est un rôle plein de délicatesse et Paula Beer y apporte énormément de douceur et de dignité. Le film de François Ozon est clairement un film qui bascule en son centre. Dans toute la première partie, Adrien est en Allemagne, cherche le contact avec la famille de Frantz, est en but à la froide hostilité de toute la ville, il est en souffrance et cherche quelque chose qu’il n’arrive pas à formuler. Puis, au milieu du film, la vraie raison secrète de la présence d’Adrien tombe. Honnêtement, ce « rebondissement » n’est pas difficile à deviner, il était tristement prévisible. Dés lors, le film bascule et les rôles s’inversent : c’est Anna qui recherche Adrien, qui voyage en France et se retrouve dans un pays hostile (mais de manière différente), et c’est Anna qui recherche en Adrien quelque chose qu’elle n’ose pas se formuler à elle-même. La mort est omniprésente dans la France et l’Allemagne de 1919, elle est partout où on regarde, elle en chacun des survivants, elle en chacun des parents endeuillés. C’est une période particulière et le climat y est particulièrement bien rendu dans « Frantz » : la France saignée à blanc, détruite mais victorieuse d’un côté, l’Allemagne saignée à blanc, intacte mais humiliée (et déjà revancharde) et bientôt ruinée de l’autre. Le film traite aussi du pardon et du deuil, et évidemment de l’absurdité du conflit (au travers du personnage du père). Le scénario, même s’il est sans surprise, est d’une grande pudeur sur toutes ces questions. Il amène ses deux personnages, il les accompagne dans leur retour à la vie, chacun à leur manière. On peut trouver au film de François Ozon une certaine aridité parfois, quelques longueurs, quelques scènes un peu bavardes aussi. C’est évident qu’il n’est pas formaté pour plaire au plus grand nombre, qu’il n’est pas pensé pour être diffusé à 20h50 un dimanche soir sur TF1. Mais c’est un film intelligent et soigné, plein de délicatesse, campé dans une période historique très particulière (et sur laquelle il y aurait beaucoup à dire et à filmer, on attend avec impatience l’adaptation de « Au revoir la haut » de Pierre Lemaitre) et qui traite de sujets simples mais essentiels.