"Ma vie de courgette" s’inscrit superbement dans ce mouvement d’un cinéma d’animation qui s’adresse autant aux petits qu’aux grands et qui traite de sujets importants avec inventivité et subtilité. Le petit héros du film est le surnommé Courgette, gamin d’une dizaine d’années qui
se retrouve orphelin, pris en charge par un commissaire débonnaire qui le place dans un foyer pour enfants. Là, il est initié à la vie sociale, en faisant connaissance avec ses co-pensionnaires. Parmi eux, la petite brute qui le bizute, le gros dont on se moque, la petite d’origine africaine, le gosse lunaire… et puis la fillette qui joue au foot, maîtrise l’art de la tchatche et ne s’en laisse pas compter. Courgette en tombe amoureux
. Ce film est écrit par Céline Sciamma (adaptant un roman de Gilles Paris, "Autobiographie d’une courgette") et ça se voit et s’entend. Les enfants représentent un échantillonnage de toutes les situations de potentielle exclusion : surpoids, couleur de peau, identité transgenre, timidité, difficulté à communiquer… Les adultes sont distribués selon toutes les nuances du bien et du mal, depuis le policier ouvert et tendre à la tante cynique et vénale en passant par la directrice du foyer qui n’est ni gentille ni méchante mais tente simplement de faire son travail dans l’efficacité et l’équité. Pour autant, ces personnages ne sont pas réductibles à une caractéristique ou un stéréotype mais possèdent leur complexité, leur épaisseur, leur possibilité d’évolution, à l’exemple du butor de cour de récré qui devient le meilleur ami de Courgette ou de Courgette lui-même qui passe de l’état de victime apeurée à celui d’un enfant qui renaît à la vie et se reconstruit une famille affective plutôt que biologique. Le film montre que chaque individu est constitué de singularités et pourrait reprendre à son compte la phrase de Cocteau, “ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi”. Et pour faire une bonne ratatouille humaine, il ne suffit pas de courgettes mais il faut un mélange de légumes, chacun singulier. Le réalisateur Claude Barras a imaginé des figurines venant du royaume simpliste et fantaisiste de l’enfance (petits corps, grosses têtes…), mais réussit à faire passer dans leurs regards toutes les émotions et tous les ressentis de l’être humain. Grâce à ce travail plastique et aux voix des comédiens, "Ma vie de courgette" est un film ultra stylisé mais profondément incarné. C’est aussi une œuvre d’une certaine modestie, qui n’abuse pas du temps du spectateur : soixante-six minutes, c’est une durée certes courte pour un long-métrage mais qui suffit à montrer dans toutes ses nuances le parcours initiatique d’un enfant qui apprend à faire son deuil, à se frotter au monde, à conquérir son individualité et sa liberté. Alors que beaucoup de films dépassent les 2h pour brasser de l’air ou exposer leur vanité, "Ma vie de courgette" fait passer énormément de choses sur l’enfance, la différence, la construction de soi, l’altérité, avec une concision, une finesse et une précision impeccables. Un petit bijou du cinéma d'animation indépendant