"Trois souvenirs de ma jeunesse" ne sera personnellement pas le chef d'œuvre annoncé, attendu et espéré...
Non que ce soit une mauvaise réalisation de Arnaud Desplechin, bien au contraire car ce film nous titille les méninges comme il faut, nous étonne, nous intrigue, nous agace aussi avec un sentiment qui va donc de la satisfaction totale à quelquefois même l'exaspération, pour finalement devenir parfaitement cohérent et juste lors de l'épilogue surprise, vraiment excellent en soi !
Alors, même si le récit autobiographique est présent, on sent très précisément la mise en place d'une sorte d'analyse ou de psychothérapie très marquée, par la façon rigoureuse dont est construit le film avec des approches très différentes où plusieurs cinéastes sont source d'inspiration, pour ne citer que Bergman ou Truffaut, mêlant ainsi les genres; du presque policier ou espionnage, qui flirte intelligemment avec le drame familial jusqu'au dernier tableau plus introspectif !
Ce triptyque est représenté sous la forme de trois moments clé de la vie de Paul Dedalus, qui sont chacun comme les piliers de sa vie, les moments gravés au plus profond de lui, qui l'ont à la fois construit et détruit...
Et c'est pourtant le dernier d'entre eux qui fera l'essentiel du film, avec la présence du duo Paul/Esther à travers leur relation à la fois fusionnelle, ouverte et torturée !
Même s'il reste intéressant et passionnant à bien des égards, cet amour évoluant vers une dépendance totale de la part d'Esther, semble également ici remarquablement bien analysé et montré, juste et pertinent alors que bizarrement et à la fois, on reste sur ses gardes quant au contenu des lettres ainsi qu'à leur lecture très mécanique...
Cette correspondance aussi recherchée soit-elle dans l'esprit et le style, manque cruellement de passion, de chair, de fièvre, au point de sembler froide et désincarnée le plus souvent alors qu'elle parle d'amour et de souffrance...
Un côté très artificiel se met ainsi en place, jusqu'à même quelquefois apparaitre dans l'interprétation des dialogues entre Esther et Paul, comme si quelque chose clochait dans la manière de s'exprimer ou dans certaines expressions trop calculées.
Et pourtant, paradoxalement, on rentre complètement dans l'analyse complexe de leurs sentiments respectifs et de leur ressenti, de ce que tous deux attendent de l'un et de l'autre !
À ce sujet, la face ambigüe d'Esther a des retombées très profondes sur le personnage de Paul, toutes très bien décrites, décortiquées au fur et à mesure que les personnalités évoluent et sont mises à nu...
L'éloignement, l'isolement, la faiblesse de l'une mêlés à la protection, la tolérance apparente de l'un seront un terreau plus qu'incertain pour l'avenir.
Dans cette dualité, les personnages secondaires ont cette fois, beaucoup d'importance et donc une justification bien réelle dans le devenir de Paul, être meurtri dès l'enfance, blindé au point de ne rien ressentir de la douleur...
J'avais pour ma part préféré "Un conte de Noël" qui m'avait complètement secoué et interpellé par la force de cette violence verbale exacerbée, terrible et époustouflante !
"Trois souvenirs de ma jeunesse" pourra sans aucun doute possible enflammer, passionner les inconditionnels d'Arnaud Desplechin et mêmes bien d'autres, tandis qu'il pourra aussi rebuter par cette forme un peu trop calculée, un peu rigide voire un peu précieuse qui oublie de temps à autre de laisser la place aux émotions !
Cependant la fin grandiose, est à ne pas louper, en étant la pièce essentielle et éclairante de ce qui s'apparenterait presque à un puzzle, tant on se sent un peu trop baladé du début à la fin.
Ce qui n'en reste pas moins que ce cinéma reste diablement intéressant !