Près de vingt ans après Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), Arnaud Desplechin en reprend les personnages principaux, mais moins âgés, pour proposer une sorte de « prequel » marquée par les efforts de mémorisation d’un Paul Dédalus désormais anthropologue au Tadjikistan.
A l’image du nom du protagoniste, on peut aisément se perdre dans les dédales et les labyrinthes d’un scénario très dense et à plusieurs strates, qui joue avec malice des flash-backs et des flash-forwards et propose un film entièrement mental, construit, donc, à partir des « trois souvenirs » de jeunesse dudit Paul Dedalus.
Une fois de plus, Desplechin s’écarte délibérément du naturalisme pour proposer un romanesque qui lui est manifestement personnel, traversé de références cinématographiques et littéraires. On verse sans conteste du côté de la fiction la plus pure.
Il parle en virtuose, avec une grande délicatesse et non sans humour de la « toute première fois », des émois amoureux qui arrivent quand on a 18 ou 20 ans. Surtout, et c’est ce qui va nous intéresser tout spécialement, il trouve une forme particulière pour traduire ce sentiment extraordinaire d’être amoureux pour la toute première fois, avec split-screens, travellings inattendus, plans en iris et harangues face caméra. Le film s’octroie beaucoup d’audaces, ose.
En parallèle de l’amour, c’est aussi pour Desplechin l’occasion de parler une fois encore d’un autre sujet qui lui tient à cœur, à savoir l’identité. Lui qui s’est intéressé à la psychanalyse et a consacré un film à ce sujet propose avec ‘Trois souvenirs de ma jeunesse’ une plongée introspective d’un homme qui se penche sur lui-même, son passé, celui qu’il a été. A cela s’ajoute l’histoire de passeport sus-citée : en donnant ses papiers à un autre c’est pour Paul Dedalus une manière de se dédoubler. Lors de la magnifique séquence finale, Paul parle à Esther de cette histoire. Esther lui donne un baiser, et déclare malicieusement qu’il est bien le bon.
Dans de très belles séquences, le réalisateur capte toute la grâce fragile de ses adolescents Quentin Dolmaire et Lou-Roy Lecollinet dans les rôles respectifs de Paul et d’Ester, et tous deux très rafraîchissants. Sans tomber encore une fois dans l’écueil du naturalisme, il sait obtenir d’eux une sorte de naturel assez confondant, et ce malgré la sophistication à l’oeuvre dans l’écriture des dialogues. Quant aux acteurs adultes, s’ils ne bénéficient que de brèves apparitions fugaces, la plupart convainquent : Gilles Cohen en truand à la petite semaine, Olivier Rabourdin de « Des hommes et des dieux » en père dépressif depuis le décès de sa femme, André Dussollier en flic ou Mathieu Amalric en Paul Dédalus âgé. Par leur talent respectif ils arrivent à imposer un personnage et un caractère malgré la brièveté de leur présence sur l’écran.
Enfin, comme d’habitude chez Desplechin, c’est un cinéma très paradoxal auquel on a droit : à la fois classique et moderne, s’affirmant « d’auteur » à chaque plan mais travaillant simultanément les genres (d’enquête, du teen-movie, du film d’espionnage, de la rom’ com’…). Où l’on s’écrit de longues missives bien littéraires mais où l’on écoute en parallèle du George Clinton, du Run D. M. C. et du White & Spirit – la bande-son, entre parenthèses, s’avère détonante. Où le dialogue très écrit n’empêche pas l’histoire d’avoir mille rebondissements et ne paralyse jamais le récit.
En somme c’est un cinéma très riche où chacun pourra piocher et trouver « à boire et à manger », et on ne peut que lui souhaiter de gagner les principaux Césars lors de la prochaine cérémonie fin février.