Parfois on me demande comment je choisis les films que je vais voir. Pour cette « Hermine », la réponse a le mérite d’être simple. Tout d’abord, il est sensé se passer pas loin de chez moi, dans ma belle région des Flandres, et moi ça me suffit déjà pour me rendre curieux. Le regard d’un auteur porté sur un coin qui m’est familier, ça m’attire toujours. Mais bon, cet argument ne pèse pas grand-chose quand, au casting, on affiche ce que j’ai décrété être la plus belle actrice du monde : j’ai nommé la radieuse Sidse Babet Knudsen. Donc ni une ni deux j’y suis allé tout jouasse… jusqu’à ce que la première minute du film me rappelle que j’allais voir un film « français », avec tout ce que ce terme implique de péjoratif. Alors je sais que ce type de désignation ne rebutera pas forcément tout le monde – et c’est d’ailleurs tant mieux pour ceux que ça concerne – mais on ne va pas se mentir non plus : le public susceptible de s’y retrouver est tout de même assez restreint. Personnellement, il m’a suffi d’observer les spectateurs qui m’entouraient dans la salle pour comprendre qui pouvait être attiré par ce genre de long-métrage. Petite bourgeoisie, plutôt âgée dans l'ensemble, avec une proportion non négligeable de personnes aimant afficher ostensiblement une certaine distinction ou une appartenance sociale. A dire vrai, le film est taillé pour eux : la réalisation est rêche, très monolithique, et ne s’intéresse qu’aux individus et non aux espaces. La parole est reine, souvent vaine, mais l’important n’est pas là ; l’important est qu’elle soit raffinée et qu’elle dresse un constat conformiste de la société ; focalisant davantage son attention sur les badinages sophistiqués et les réflexions de sophistes sur la société qu’elle ne questionne vraiment nos représentations et notre réalité. Ainsi, l’essentiel du film n’est-il qu’une étrange accumulation de clichés sur les gens et sur les lieux, le tout entrecoupé de scènes de cour (amoureuse pour le coup) entre le vieux Fabrice et la belle Sidse. Parce que oui, du côté des clichés, Christian Vincent s’est tout de même assez débridé. Il a dû se dire que ce film ne serait certainement vu qu’au sein d’un certain entre-soi, et que pour le coup, il n’avait pas à se priver de conforter les représentations qu’on peut se faire en bonne société de la plèbe nordiste. Ainsi, se retrouvera-t-on avec un Nord-Pas-de-Calais que la photographie a décidé de nous représenter comme bien gris, mais aussi avec une belle flopée de gros ploucs souvent incapables d’aligner deux mots ; le tout allant même jusqu’à nous introduire une poignée d’Arabes, non pas pour nous en faire des personnages, mais juste dans l’unique but de nous rappeler l’espace d’un instant qu’ils sont tous arriérés dans leur manière de soumettre les femmes et dans leur tendance quasi systématique à s’énerver impulsivement entre eux, oubliant à ces moments là de parler la bonne langue des peuples civilisés. Avouons-le donc, voilà un film qui, regardé par un spectateur qui, comme moi, n’est pas la cible, a quand même beaucoup de torts à se faire pardonner pour qu’on puisse vraiment essayer d’y trouver une quelconque jouissance. Et pourtant… Et pourtant, comme vous pouvez le constater, j’ai mis deux étoiles. Alors certes, cela dit à quel point, en fin de compte, ce film ne m’a pas forcément laissé une impression positive, mais cela dit également qu’au milieu de tout cela, il a quand-même ses quelques atouts. Bien évidemment, ses deux atouts les plus évidents sont ses deux interprètes principaux. Je ne reviendrai pas sur tout le bien que je pense de Sidse Babet Knudsen qui, malgré le peu qu’on lui donne dans ce film, parvient malgré tout à briller de mille feux et à transcender son rôle. Pour ce qui est ensuite de Luchini, même si l’aigreur ne lui va pas, il faut bien lui accorder une stature qui sait combler par sa prestance le manque de consistance de la réalisation. Mais bon, au-delà de ça, il me sera difficile de renier que, passé les trois traditionnels quarts d’heure habituels de mise en place bien barbantes de l'intrigue, cette petite affaire judiciaire autour de laquelle s’orchestre le film parvient malgré tout à capter l'attention. Certes c’est basique, mais pour le coup ce choix est judicieux. La plongée dans le monde de la justice finit par fonctionner, même si on reste le plus clair du temps dans une forme assez scolaire de didactique à l’égard de ce milieu. Donc l’un dans l’autre, si on est tolérant ou insensible aux multiples violences symboliques, de formes et de fond, sur lesquelles est bâti ce film, on peut éventuellement s’y retrouver, du moins davantage que dans ce que le cinéma français à l’habitude de produire. Austère donc, ségrégatif à coup sûr, mais sur certains points assez efficace dans la sobriété de sa démarche d’ensemble. Donc, à vous de savoir à quoi s’en tenir. Au moins, on ne pourra pas reprocher à cette « Hermine » de tromper sur la marchandise…