Il y a 25 ans, « La discrète » premier film de Christian Vincent, allait apporter à Fabrice Luchini une notoriété grand public qui lui faisait défaut jusque là (il était alors beaucoup plus reconnu dans le milieu du théâtre) et le propulser au rang des acteurs bancables du cinéma français. Depuis, sa carrière est somme toute assez sinusoïdale, souvent drôle ou percutant quand il est très bien dirigé (« Dans la maison », « Rien du tout ») beaucoup contestable quand on le laisse partir en vrille luchinienne (« Beaumarchais, l’insolent » ; « Jean-Philippe »). Je caressais le secret espoir, pour ces retrouvailles, d’être à la fois amusé par la verve caustique tout autant que charmé par la subtilité et l’élégance, qui étaient les véritables composantes de « La discrète », en plus du trio d’acteurs de l’époque qui faisait mouche.
« L’hermine » s’avère être un film beaucoup plus anodin, voire anecdotique, une espèce de justification à offrir le rôle de la maturité à un acteur brillant dont le spectateur pense (injustement) avoir fait le tour. A l’image d’un Jean Gabin dans « Le Président » qui le « remettait en scène » alors, Lucchini trouve chez l’individu plaideur qu’est le juge Michel Racine (rien que le nom est un clin d’œil à lui seul) le rôle à dimension, la sienne et il y est magistral (sans jeu de mot). Car bien plus qu’une incarnation, il est une présence. Celle qui de tous instants, d’un rictus, d’un verbe acerbe, en mangeant une pomme véreuse, ou en amoureux éconduit, en robe de juge ou dans un manteau en alpaga taupe mal taillé… ce sont tous ces petits détails qui font de ce juge un homme éminemment touchant, un vrai personnage balzacien, pathétique mais aimable toutefois. Fabrice Luchini touche ici à la quasi perfection.
Il est dommage que le film ne soit pas sur le même niveau d’ambition. Car entre l’histoire d’amour plus suggérée que vraiment traitée et les passages autour et dans le tribunal, tout est y convenu, de bonne facture certes, mais convenu. Pour autant, la présence complémentaire des autres acteurs (Sidse Babett Knudsen, Corinne Masiero entre tête) comble les vides. Mais il manque quand même quelques scènes fortes, en renforçant par exemple celle du juge Racine avec sa femme (jouée par Marie Rivière, à la limite de la figuration) qui est inutile en l’état, ou celle avec Ditte et sa fille Ann à la Brasserie trop banale et plus largement en apportant un peu plus de crédibilité sur l’environnement judiciaire.
Christian Vincent donne un peu l’impression d’avoir été effrayé par le monstre sacré qu’il a engendré, au point d’en oublier presque le contenu de son film. Un peu comme si le marteau du président venait finir sa course sur une étole d’hermine, le coup porté est alors plus qu’amoindri.