Des films sur l'éloquence, au service de la justice, sur des procès, il y en a eu. Des sublimes, tel "Douze hommes en colère" de Sidney Lumet ou "L’Aveu" de Costa-Gavras et d’autres, souvent des séries, nettement moins acceptables. Ici, le débat, la vérité, preuves ou convictions importent beaucoup moins que les principes. Une phrase lancée au jury, hors-séance, résume à elle seule le pourquoi d’un procès : "Nous ne connaîtrons sans doute jamais la vérité, nous ne sommes pas là pour rendre la justice … mais pour réaffirmer les principes de la Loi." Or c’est bien de cela dont il s’agit. Donner toute sa puissance à la Loi. La justice, seul un homme peut la rendre, arbitrairement, comme Salomon ou Saint Louis. Il en est l’accoucheur, elle émane de son seul discernement. Dans un procès, le jury, c’est-à-dire, en France, neuf individus, doit dire sa vérité, désigner un coupable ou élargir un innocent, avant de décider d’une sanction.
Dirigeant son tribunal avec une rigueur et une précision qui pourrait le faire prendre pour un metteur en scène, le président de la cour d’assises se doit de diriger la barque de la justice d’une main ferme mais savoir aussi aborder sur des rivages inconnus. Il n’est pas là pour suggérer un bouc émissaire, même si le grand public adore voir un coupable désigné. Tout est reconstitué avec soin et réalisme, la tension et la solennité d'une audience, les jurés issus de divers milieux faisant connaissance, soulevant maladroitement questions de forme et de fond. Pourtant, le destin paraît être scellé : dans le box des accusés, le père avec la tête de l’emploi, soupçonné d'avoir tué son bébé à coups de pieds, refusant de répondre aux questions, répétant en boucle son innocence... Pourtant, pas de vision caricaturale, pas d’approximation, mais un magistrat pointant un regard précis sur tout, tant dans le prétoire que dans les coulisses. Dans cette vision un peu bourgeoise de la justice, Fabrice Luchini s’éclate en juge bougon.
Ce film pourrait paraître parasité par son semblant d’histoire d’amour avec Ditte Lorensen-Coteret. Or, dans ces rencontres, outre qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, il n’y a guère matière à s’échauffer les sangs. Tout au plus, en exagérant les faits, pourrait-on parler de pensées à tendance concupiscentes ! Car si le thème des retrouvailles amoureuses avec une femme qu’il a jadis secrètement aimée offrent aux âmes sensibles une explication à l’apparente conversion d’un monstre froid en un magistrat devenu brutalement humain, hypothèse simplette, c’est plus parce qu’il est implacablement perfectionniste qu’il paraît bienveillant. Comme d’habitude, Fabrice Luchini crève l’écran mais, cette fois, sans cabotinage. Finies les postures extravagantes, à la trappe les phrasés inaccoutumés, disparue l’accentuation exagérée. Il intériorise son jeu, dose avec subtilité aplomb et fragilité, aigreur et reconnaissance. Une excellente interprétation, mais était-elle si exceptionnelle qu’elle méritât le prix d'interprétation à la Mostra de Venise ? Je crois l’avoir vu, et entendu, en meilleure forme.
"L’hermine" surprend par sa subtilité et nous touche en plein cœur.
Michel Tellier