Bien évidemment – et je ne serai certainement pas le seul à l’évoquer dans cette rubrique – si « Victoria » vaut le coup, c’est pour l’exercice de style auquel il nous invite : un long plan séquence de 2h19. Le plus long plan séquence de l’histoire du cinéma ! (…du moins pour le moment). Alors sur ce domaine là, je dois bien l’avouer, le film a quand même quelque-chose d’excitant. Parce que bon, soyons honnête pour commencer : faire un plan séquence super-long, c’est à la portée de tout le monde, y compris de vous et moi. Par contre, faire un plan séquence qui apporte vraiment quelque-chose, qui sache mettre dans un état de curiosité permanente, ça par contre, c’est compliqué, et « Victoria » là-dessus réalise son exploit. C’est assez impressionnant : la gestion de l’espace, du temps, du cadre, de la lumière du jour qui se lève progressivement, sont autant d’éléments qui sont maitrisés à la perfection. Malgré l’absence de cut, le film parvient à isoler des lieux et des séquences, tout comme il parvient à construire formellement sa réalisation avec des travellings et des cadres très bien réfléchis. Pas de problème de prise de son, de gestion de la lumière, de mouvement dans l’espace. Il suffit de réfléchir deux secondes au dispositif mis en place, de réfléchir à comment on s’est certainement passé la caméra de main en main, pour qu’au final on prenne son pied face à ce film. Par contre, reste quand même une question. Au-delà du plaisir face à la performance technique, « Victoria » assure-t-il le spectacle en tant qu’intrigue se suffisant à elle-même ? Est-ce que le dispositif permet de donner du relief à la démarche narrative ? Bon, sur ces plans là par contre, j’avoue que ce film peine un peu plus, même s’il ne s’en sort franchement pas trop mal. Le problème de ce film est à la fois sa grande qualité : il veut être généreux. Ainsi, plus le temps passe, plus le rythme s’accélère, plus l’intrigue s’enflamme. Alors certes c’est plaisant, mais pour le coup, le fil de la suspension d’incrédulité en prend un coup car, à vouloir dynamiser son ensemble, Sebastian Schipper passe par des enchainements pas toujours crédibles, surtout qu’ils sont sensés s’opérer sur un temps très court. En cela, le personnage de Victoria à lui seul est assez absurde.
Franchement, ce film, il n’aurait pas fallu l’appeler « Victoria », mais plutôt « Coconne l’Espagnole » tant elle enchaine les décisions insensées en un temps absolument record. Alors OK, j’entends l’argument qui consiste à dire « mais c’est le personnage qui veut ça » ; il s’agit de montrer comment une gentille petite fille qui n’a jamais eu l’occasion de vivre entend faire de son séjour à Berlin un moment d’expérimentation totalement naïf. OK, pourquoi pas… Moi, je veux bien aussi entendre qu’elle ait picolé ; je veux bien qu’elle soit nunuche ; mais bon, il y a quand même de trop nombreux moments où elle est clairement dans la mouise jusqu’au cou et où il suffisait à ce moment là de dire « stop » pour que tout s’arrête. Mais non, elle renchaine derrière pour encore plus d’ennuis.
Alors OK, le personnage a été pensé comme ça – c’est flagrant – mais au bout d’un moment elle est quand-même tellement à côté de la plaque niveau logique qu’il devient très difficile de s’identifier à elle et à sa situation. Et franchement, c’est dommage, car c’est bien là la limite de ce film qui, malgré tout, n’en reste pas moins sympathique et enrichissant à voir, ne serait-ce que pour la performance technique. Voilà, qu’on se le tienne pour dit…