J'ai toujours eu du mal avec les films concepts. Généralement ceux-ci oublient de dépasser leurs intentions de base et s'enferment dans leurs concepts, au point même de n'être que des coquilles vides. Car oui un film concept est souvent très beau mais aussi très vide, rares sont ceux qui arrive à aller au delà pour apporter de vrais réflexions philosophiques et métaphoriques. Une des plus belles réussites dans le domaine fut Enter the Void de Gaspar Noé, qui plus que son concept fut un film cohérent dans l'oeuvre de son auteur et une magnifique réflexion sur la vie, le deuil et le regret. Mais qu'en est-il de Victoria ? Dont le concept alléchant est d'un film tourné en un seul plan séquence et qui se déroule en temps réel. Alors réussite formelle et intellectuelle ou juste une simple coquille vide de plus ? Le principal problème du film viendra que si l'on s'intéresse qu'à la partie narrative alors là il n'y a pas grand chose à voir. Déjà la narration souffre de quelques longueurs faute au procédé de temps réel qui n'admet aucunes ellipses et cela sera vraiment dommageable durant la première heure de film. On nous dessine une romance alcoolisée sympathique, touchante et drôle mais qui traîne un peu en longueurs ( cela sert néanmoins la partie symbolique du film ). Le film met beaucoup de temps à se lancer et de dévoiler ses véritables enjeux ayant parfois raison du public ( ma salle s'est vidée de moitié durant la première heure de film ). Après c'est dommage que ça prenne autant de temps à ce mettre en place mais c'est aussi dommage que le spectateur lambda n'essaye pas de lui donner sa chance. Surtout que les personnages sont plutôt attachants et bien écrit. Victoria dans un premier temps et un personnage dont on comprend le parcours, elle a renoncé à son rêve pour pouvoir vivre et cela permet d'avoir un sous texte un peu méta sur la jeunesse d'aujourd'hui qui veut tout, tout de suite sans fournir le moindre effort. Plus que le travail, c'est la vie facile et frivole qui importe. On retrouve d'ailleurs un peu ça dans le groupe de jeunes berlinois qui accompagne Victoria, ils ont quelque chose d'important à faire mais préfèrent faire la fête avant tous. Ensuite dans la deuxième partie lorsque les choses sérieuses commencent et que tout s’enchaînent, le film gère assez bien l'effet de groupe avec la bande de potes totalement dépassé par les événements mais au milieu de tout ça, c'est le personnage de Victoria qui s'efface et perd en pertinence. C'est à cause du procédé en plan séquence, le film ne peut pas géré psychologiquement plusieurs personnages au sein du même plan et lors de ses passages, il assumera le point de vue de Sonne plutôt que de Victoria, ce qui fait que la jeune femme prendra des décisions irrationnelles sans que l'on sache vraiment pourquoi, on ne sait pas si elle prend vraiment conscience de la situation ou pas, jamais on ne la sens véritablement perdue. De plus les événements sont relativement prévisibles, on sait exactement ou le film va nous emmener et comment il va finir mais il garde néanmoins une bonne gestion du suspense et de la tension notamment dans un dernier acte vraiment tendu. Mais comme je l'ai dit plus haut ce qui fera l'intérêt du film et qui le rend passionnant c'est sa part de symbolique avec la manière dont il met en parallèle les événements du film et sa réflexion sur la passion. J'ai parler de son approche méta avec la jeunesse mais il pousse plus loin en allant explorer les différentes facettes de la passion, que ce soit la curiosité par rapport à l'autre, l'attraction qui pousse à se jeter dans l'inconnu ( Victoria va suivre cette bande qu'elle ne connait même pas ), le jeu de séduction que l'on fait durer parfois à l'extrême jusqu'à créer un manque ( lorsque Victoria retournée à son bar croit que la soirée est finie et qu'elle déprime un peu ). D'ailleurs c'est pour cela que la partie séduction est si longue, on l'a fait durer car c'est presque ce qu'il y a de mieux, on baratine l'autre, on teste ses limites, on apprend à le connaitre et etc. C'est presque la partie la plus excitante. Ensuite il y a la peur de sauter le pas, qui engendre la panique puis l'extase absolue lorsque l'on passe à l'acte avec l'adrénaline et le frisson. Pour après arriver au doute, aux questionnements, à la peur de perdre sa liberté, son indépendance, on panique, on reproche à l'autre, on se dispute et on se résigne. Tout est fini, ça fait mal, on pleure, on se quitte puis c'est le vide. Le film arrive à traiter tout ses états de la passion amoureuse en la mettant au service d'une autre situation pour qu'elle ait une portée universelle et il le fait admirablement bien. On est happé par ce cercle infernal, ce fatalisme ambiant, dès le début on sent que cela ne peut pas bien se finir d'où l'aspect un peu prévisible du film mais celui-ci se révèle bien plus intelligent que beaucoup le penseront car son aspect symbolique et passionnant arrivant même à nous faire rentrer dans le même cycle que ses personnages. Personnages qui sont d'ailleurs tous incarnés par des acteurs sensationnels. Il arrive à retranscrire l'euphorie et la panique de leurs personnages avec une justesse effarante. C'est d'autant plus impressionnant qu'ils n'avaient pas le droit à l'erreur et qu'il devait tenir la distance sur tout le plan séquence. On retiendra surtout Frederick Lau et Laia Costa, ils sont tous les deux parfaits de bout en bout et il partage une alchimie plus qu'évidente. Autre prouesse du film, c'est évidemment sa réalisation et son gros travail de mise en scène. Les cadrages sont pensés aux millimètres près, les mouvements sont fluides et précis, même si on évite pas le coté tremblotant de la caméra portée et qui pourrait faire mal à la tête à certains. Néanmoins la promesse était compliquée mais elle est indéniablement tenu surtout que le film s'autorise même des plages esthétiques risquées mais diablement réussis, des moments en total flottements presque contemplatifs qui capte la beauté et le silence au milieu de la fureur et de la frénésie. La musique change, d'ailleurs très bonne sélection musicale, le son se fait étouffé et on tombe dans l'abstraction et par cela Sebastian Schipper impressionne, la maîtrise et la virtuosité qu'il exerce sur son film est absolue. En conclusion Victoria est un très bon film. Un film concept qui arrive à s'émanciper de celui-ci pour porter une réflexion intelligente et habile sur la jeunesse, la perdition et la passion. Même si narrativement le film à pas mal de défauts et manque quelques peu d'intérêts c'est vraiment peu par rapport à la magistrale leçon de cinéma qui nous est proposée. Surtout que la mise en scène est brillante et que les acteurs sont magistraux. Donc n'hésitez pas à vous plonger dans cette expérience à part et surtout laissez une chance au film dans sa globalité car il pourrait bien vous surprendre.