Outre un exploit technique, il s’agit ni plus ni moins d’un plan séquence de 133 minutes, Victoria, de Sebastian Schipper, est aussi un thriller d’une efficacité remarquable. Si l’on ajoute à cela des comédiens impeccables d’authenticité, une immersion tangible, plan séquence oblige, on obtient ici l’un des meilleurs films de genre de l’année écoulée, un film sans concession venu tout droit d’Allemagne, d’un cinéma qui se mute en pendant des œuvres glaciales scandinaves. De concessions, Victoria n’en fait en effet que très peu, à l’exception de quelques ficelles narratives un brin simplistes mais nécessaire au lisse déroulement de l’intrigue, le film ne s’adresse qu’à ceux qui veulent bien s’y immerger complétement, qu’à ceux qui veulent suivre de près une jeune temporaire espagnole et trois jeunes défavorisés plongé dans l’enfer d’une nuit berlinoise crapuleuse et finalement dramatique.
Mais relativisons. Victoria n’est en soi pas un chef d’œuvre ultime de cinéma, et pour cause, le pari technique de son metteur en scène. Si ce procédé unique de plan séquence constitue un atout, il peut aussi s’agir d’un parti prit qui ne permettra pas l’élaboration d’une quelconque ellipse narrative. On subit, au même titre que les protagonistes, les évènements, sans parenthèses, sans agréments, sans dissertation sur le milieu dans lequel sont plongés nos quatre, voire cinq, intervenants. C’est brut, immersif, certes, mais le concept a ses limites tant il demande un certain investissement de la part d’un public pas toujours enclin à une plongée sans possibilité de trêves, histoire de reprendre son souffle. Un film, oui, mais surtout un concept, une certaine idée du cinéma, une forme d’élitisme.
Quoiqu’il en soit, il convient de saluer l’audace de Sebastian Schipper, un jeune réalisateur allemand qui démontre ici toute sa compétence, notamment lorsqu’il s’agit d’intégrer une certaine part d’action dans son film. Indéniablement, les séquences que l’on pourrait qualifier de stressantes, sont les plus abouties dans Victoria, notamment lorsque le groupe est brutalement confronté aux forces de l’ordre entre les rangées d’immeuble d’un quartier de la capitale allemande. Un réalisateur sur qui il faudra donc compter à l’avenir, une belle opportunité pour le cinéma allemand de prendre d’avantage d’essor sur une scène européenne ou la concurrence ne manque pas. On peut, au passage, même si c’est important, saluer l’honorable prestation de Laia Costa, jeune actrice s’étant embarquée ici dans une entreprise périlleuse et qui s’en sort pourtant haut la main. 16/20