À partir d’une affaire judiciaire contemporaine, Michael Mann réalise un modèle de film-dossier, dense, captivant, élégant. Presque envoûtant à certains moments. Toujours rigoureux dans l’exposition des faits et des cas de conscience. Sans surenchère de pathos mais puissant émotionnellement. Bref, d’une efficacité parfaite. Atteindre une telle ampleur dramatique à partir d’une matière assez peu cinématographique (les hésitations d’un scientifique à trahir les secrets de fabrication des cigarettes, puis les difficultés à les révéler au grand public) est exceptionnel. Il est question ici de devoir moral et de peur paranoïaque, d’exposition médiatique et de dégâts collatéraux, de courage et de solitude, de pression économique et politique. C’est une sorte de partie de billard à trois bandes. Un homme qui sème et subit la tempête, un lobby industriel puissant et un monde journalistique tiraillé entre exigence déontologique et retenue pragmatique. Le scénario est solide et précis. La réalisation, soutenue au final par un montage haletant, brille d’intensité dans un registre de thriller psychologique, tout en sachant suspendre le temps parfois, lors de séquences en apesanteur, grâcieuses et douloureuses. Séquences qui doivent beaucoup au chef op’ Dante Spinotti, lequel avait déjà expérimenté ses fameuses ambiances bleutées dans Heat, le précèdent film de Michael Mann. Côté interprétation, c’est aussi très fort : Russell Crowe, subtile en colosse fragile mais têtu, Pyrrhus moderne ; Al Pacino, tout en nervosité irradiante mais plus soft que dans Heat. Et puis il y a la BO, l’une des plus belles qui soient : planante, déchirante, électrisante. Le seul élément du film qui n’atteint pas des sommets, c’est le titre qu’on lui a donné pour l’exploitation française, d’une remarquable platitude…