L’homme esseulé face à l’Establishment puis, dans un second temps, le journalisme dit intègre face à ce même Establishment. Micheal Mann, au sortir de son prodigieux Heat, livre un film puissamment engagé, contre l’industrie du tabac, certes, mais surtout contre le système capitaliste dans sa généralité. Révélations, The Insider pour les intimes, est un film en deux temps, une machine implacable qui confronte l’homme honnête à la perfidie d’un système qui corrompt justice, opinion public et qui écrase sur son passage toute moralité. L’informateur, l’homme ayant été salement mis à la porte par une firme du tabac, est tiraillé entre volonté de témoigner au sujet du plus grand des scandales de santé public et volonté du respect de la clause de confidentialité qu’il a signé auparavant. Vous vous en doutez, sous la pression d’un vaillant journaliste d’investigation, l’homme ira au bout de sa croisade, affrontant menaces de mort, humiliation et dissolution de la cellule familiale. Puis, le témoignage mis en boîte, ce sera le tour des reporters de se battre, d’éviter le dictat de l’industrie, d’honorer les principes moraux de la profession. Plus important encore pour le producteur ayant poussé le chimiste à témoigner, faire en sorte que le sacrifice social d’un homme n’ait pas été vain.
Solide, militant, Michael Mann tisse une toile de maître, un pamphlet bavard, toujours passionnant, filmé avec toute la maestria dont il est capable. Du parjure légendaire des sept PDG des firmes de la cigarette au combat moral de quelques hommes esseulés face à un système ordurier, le cinéaste n’arrondissant jamais les angles, sans pitié pour ses personnages, livre le nouveau prodige du film d’investigation, au seuil du nouveau millénaire. Révélations, formidable engrenage dont le but est de dénoncer, de montrer l’honneur dont font preuve certain face à un mensonge devenu si gros, qu’il s’avère en définitive intouchable. Bien sûr, les méfaits du tabagisme étaient bien connus avant Micheal Mann et son film, mais ici, le cinéaste transcende le sujet, ne transformant pas son travail en militantisme scientifique trop peu populaire auprès du public, mais s’efforçant de confronter l’humanité à la machination.
Le réalisateur retrouve Al Pacino, tête d’affiche indéboulonnable, briscard au parler légendaire, même en VF, qui rythme à lui seul les évènements décrits tout au long de 2 heures et 30 minutes de bobine. Puissant lorsqu’il pousse un cri de colère, touchant lorsqu’il dévoile ses faiblesses, l’acteur signe ici l’une de ses cinq meilleures apparitions, ce qui n’est pas rien. Autre vedette au casting, Russell Crowe. Le comédien Néo-zélandais livre là sa plus prestigieuses des partitions, solide bonhomme dans le costume de l’individu qui témoigne, qui perd tout. Les cheveux grisonnants, lunettes d’antan sur le nez, déguisés en père de famille disgracieux, l’évolution de son personnage, sa descente aux enfers, cela se lit sur le visage du comédien, est à ce point impressionnante que le combat d’Al Pacino pour lui rendre honneur, en deuxième partie de film, est tout simplement indispensable.
Sublime, documenté, passionnant, les adjectifs ne manquent pas pour définir le film de Michael Mann, un film n’ayant pas, alors, conquis académies et festivals, mais qui reste un hit du genre, une légende à classer aux cotés des plus grands drames d’investigation. Comment s’ennuyer face à la portée d’un tel film, d’un tel combat mis sur bandes. Comment rester insensible face aux talents de mise en scène de Mann, face aux talents des comédiens? Impossible. Un indispensable. 18/20