J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire (et vérifiera celui que ça amuse), mais je le redis : j’ai beau n’avoir apprécié aucun des films de Denis Villeneuve, je ne peux m’empêcher de me dire qu’un jour, ce mec me fournira un film qui me transcendera. Et si je prends la peine de redire ça, c’est parce que, pour le coup, avec ce « Premier contact » on n’en était vraiment pas loin ! Il faut dire aussi que j’ai quand même un sérieux penchant pour ce genre qu’est la science-fiction et que je l’apprécie tout particulièrement quand ce sont des auteurs formalistes, sobres, et à forte personnalité qui s’en emparent. D’ailleurs, c’est bien là le premier point que je noterais de ce « Premier contact ». Ah ça, c’est beau ! Les effets-spéciaux ne prennent absolument pas le pas sur les exigences basiques de réalisation concernant la photo, la composition du cadre, la narration. C’est bête à dire, mais tout ce savoir-faire là, qui consiste à jouer de la mesure plutôt que de l’esbroufe, contribue clairement à poser une atmosphère prenante, marquante, et séduisante. (
D’ailleurs, détail tout con que j’ai retenu dès le début du film et qui à mon sens illustre bien ça: le simple fait que Villeneuve fasse le choix d’exprimer la tension de l’arrivée extra-terrestre que par des flots de gens silencieux et tendus rentrant chez eux par masse, la confusion sur un parking, ou bien quelques avions de chasse hurlant dans le ciel, ça m’a bien plus parlé que toutes ces scènes money-shots dont nous abreuvent actuellement les gros blockbusters qui tâchent…
) L’approche du sujet est elle aussi très sobre, efficace, amenant rapidement et intelligemment ses personnages et son intrigue : bref, le début lançait ce film sous les meilleurs auspices. Et puis, malheureusement, au fur et à mesure que cette intrigue s’est mise à avancer, j’ai fini par retrouver cette sensation désagréable que je ne voulais pas / que je ne pensais pas voir ressurgir dans ce film. Cette sensation c’est celle que j’ai finalement ressenti dans tous les films de Villeneuve et que ce « Premier contact » m’a d’ailleurs permis de mieux identifier. Cette sensation, c’est celle du vide. Ralalah mais que c’est rageant d’avoir un film qui amorce si bien son sujet et qui, petit à petit se délite au niveau du fond ! L’entrée dans le monolithe, la découverte des aliens, le « premier contact » : tout marche du tonnerre. Seulement voilà, au bout d’un moment, il faut raconter quelque-chose à partir de ça, et c’est là que ce film ne parvient pas, selon moi, à passer la seconde. Déjà, qu’est-ce qu’il leur faut comme temps à ces spécialistes pour réussir à poser les bases de leur communication avec les aliens ! Il y a des solutions pourtant évidentes qui s’imposeraient à tout esprit un tantinet logique, et pourtant ces éminences grises de « Premier contact » mettent des plombes à les trouver, et encore souvent partiellement. (
L’exemple le plus flagrant concerne pour moi l’idée révolutionnaire de l’usage d’un tableau à feutres pour faire comprendre des mots ! Mais ouah quoi ! Et on ose nous dire que tous ceux qui étaient passés avant le personnage principal de Louise n’avaient pas eu cette idée-là ? Non mais oh ! Sérieux ? Et le pire, c’est qu’ils bloquent là ! User de pictogrammes tout bêtes, de dessins, pour être capable d’associer des idées à des mots, ça ne leur est même pas passé par la tête ! Utiliser un majong oui (what ?) mais utiliser des pictogrammes, visiblement, ça n’a percuté l’esprit de personne sur toute la planète alors que c’est la base de tous nos systèmes d’écriture ! Rah non mais oh ! Niveau suspension consentie d’incrédulité on repassera pour moi !
) Et à dire vrai, le vrai gros problème de ce film n’est pas qu’il ne raconte rien et que son intrigue n’avance pas (même si au fond elle avance poussivement), c’est surtout que ce qu’il raconte, ainsi que pas mal d’éléments de son intrigue, sont juste stupides et bêtes. Et franchement, ça me fait vraiment chier d’avoir à reconnaître ça d’un film aussi beau et aussi prenant au niveau de son univers, mais il est pétri de bêtises. Sa manière notamment d’illustrer les tensions internationales est juste risible tant tout s’articule autour de postulats réducteurs et caricaturaux au possible (
…en gros les Russes et les Chinois sont des gros bourrins prêts à tout péter pour un rien… C’est notamment le cas… du général Chang ! Non mais les gars : le général Chang quoi…
), ou des décisions absurdes qui sont prises (
Pourquoi les gouvernements ne communiquent pas UN MINIMUM des choses rassurantes qu’ils savent sur les extra-terrestres pour calmer les populations ? Pourquoi le réflexe qui semble s’imposer dans le monde entier en cas de mystère extra-terrestre c’est « on attaque d’abord on verra après » ? Pourquoi les pays asiatiques ont l’air d’être incapables d’une réflexion construite sur les aliens ? Pourquoi, dès qu’il suffirait de communiquer entre pays pour calmer les tensions, on décide de couper arbitrairement les communications ?
) Le pire, c’est qu’il n’est pas rare que le film en vienne carrément à se prendre les pieds dans le tapis de ses propres âneries. (
Il y a quand même un moment où on ose se demander entre militaires et grands génies comment communiquer des informations aux pays voisins alors que les réseaux de télé fonctionnent, que les satellites de télécommunications fonctionnent, et que les téléphones satellites fonctionnent !… « Ah oui mais non ! Ils ont décidé de couper leur webcam sur Skype alors tu penses, on est cuit ! » Non mais oh ! Moi, ce genre de détails, ça me défrise juste !
) Et enfin, tout ça pour conclure comment ? Avec
du voyage dans le temps ?
… Mais la vache quoi ! Ce film aura donc décidé de se compliquer la tâche jusqu’au bout… Et le pire c’est que c’est encore pour le meilleur et pour le pire ! Parce que l’air de rien, ce dénouement final sait apporter un certain souffle émotionnel ; un léger sentiment de vertige, et surtout il contribue à enrichir encore notre exploration de cet univers envoûtant. Et encore une fois, rien que pour ça, j’apprécie beaucoup ce film parce qu’il apporte vraiment quelque-chose en termes d’univers et de sensation. Mais bon, une fois de plus, les maladresses et l’absence assez aberrante de propos et de réflexion viennent au final en bonne partie saborder ce bel effort. (
Pour le coup, la gestion du « voyage dans le temps » est totalement absurde. Autant je trouve absolument géniale cette idée que le langage structure la pensée, et que l’adoption du langage alien permet à Louise de maîtriser leur pouvoir de divination ; autant la manière dont le scénario fait interagir les deux lignes temporelles de récit n’a aucune logique. La manière dont se déroule notamment le dialogue entre Louise et Chang – par époques interposées – est un peu tourné en mode « pose pas de question : c’est magique ! » Et ça, dans un film de science-fiction, ça fait plus que tâche. Et finalement, tout ça pour aboutir à quoi ? Pour aboutir sur un propos qui concerne le rapport de Louise à son avenir, au fait qu’elle sache ce que le destin lui réserve et qu’elle l’accepte ? Mais – quel – rapport – ça a – avec – l’intrigue – extra-terrestre ? Ces deux tronçons de récit ne sont finalement connectés que par cette pirouette qui consiste à dire « le langage extra-terrestre permet de lire dans l’avenir », mais à part cela, ils n’ont aucune problématique commune ! Est-ce qu’à un moment donné la rencontre alien a questionné les humains sur le fait d’avoir à assumer leur futur ? A-t-il d’ailleurs était question de futur – de temps – de destin de TOUT le film avant cette révélation finale là ? Non ! Mais juste : non ! Zéro ! Nada ! Niet ! Ça tombe tout cuit, comme ça, de nulle part. Il n’y aucun raccord dans le récit ! Aucune unité dans le propos ! C’est un patchwork de deux idées sympas posées là, l’une à côté de l’autre, sans qu’on semble s’être posé la question de ce qu’on aurait pu mettre en place pour qu’elles dialoguent ensemble. Je trouve ça dingue d’amateurisme !
) Bref, qu’il est frustrant ce film ! Et pour aller plus loin, je dirais même plus : qu’il est frustrant ce Denis Villeneuve ! Avec ce film, je comprends désormais mieux ce qui me bloque chez ce gars-là. Ce gars est un excellent formaliste, qui connait très bien les codes de chaque genre, et qui prend certainement un vrai plaisir sincère à se les approprier, les manipuler, les reconstituer… Mais le problème c’est que j’ai l’impression que seule l’ambiance intéresse ce gars. Il sait planter un décor mais il ne sait pas le remplir. Il n’a rien à dire. Il n’a pas de propos. Pour lui, l’histoire n’est qu’une codification formelle comme une autre, et je trouve ça dommage. Alors certes, en fin de compte je suis quand même satisfait d’avoir vu ce film là. J’aime que des films comme ça existent et que des démarches sobres et construites en S.-F. de ce genre persistent malgré l’époque actuelle. Seulement voilà, voir autant de bon noyé dans autant de vide c’est frustrant. Revoir une sorte de remake du « Contact » de Zemeckis avec davantage de forme mais plus du tout de fond, je trouve ça frustrant. Et donc, oui aussi, voir de potentiels chefs d’œuvre se réduire qu’à de simples films agréables visuellement, je trouve ça frustrant. Parce que c’est ça qu’est ce « Premier contact », rien de plus, rien de moins. Une belle atmosphère ; de belles images ; mais rien à dire… Moi, au-delà de ma frustration, j’ai su faire la part des choses et en ai tiré un certain plaisir. A vous maintenant de savoir si vous serez capable de faire le même effort...