Après une série d’excellents longs-métrages qui brillaient par leur sens du rythme comique et la précision de leurs gags, Charlie Chaplin marque, à mon sens un petit coup d’arrêt avec "Les lumières de la ville". Faut-il y voir une forme de lassitude de la star vis-à-vis de son personnage de Charlot (au point d’avoir un peu saccagé son look, notamment, au niveau des sourcils assez grossiers dont il s’est affublé), les conséquences du tournage compliqué de son précédent film ("Le Cirque") ou encore son refus obstiné de passer au cinéma parlant qui commence, pourtant, à devenir incontournable à Hollywood ? Difficile à dire… Mais j’ai trouvé que, pour la première fois sur grand écran, Charlot n’offrait pas grand-chose de nouveau… voire faisait du surplace. Les gags s’avèrent, ainsi, plus poussifs qu’à l’accoutumée (voir la fameuse scène de l’élévateur devant du magasin ou le combat de boxe), bien moins chorégraphiés et, plus grave, répétitifs… un peu à l’image de son intrigue. On a, d’ailleurs, l’impression que Chaplin a eu du mal à écrire son scénario qui ressemble plus à une succession de gags visuels qu’à une véritable intrigue construite, comme il nous y avait habitué jusque-là. Certes, il y a bien un fil conducteur, avec cette marchande de fleurs aveugle (Virginia Cherrill, émouvante) qui, suite à un quiproquo, prend Charlot pour un riche bourgeois… mais j’ai trouvé que la ficelle était un peu grosse et, surtout, que l’histoire manquait de fluidité. A ce titre, les multiples rencontres entre le héros et le millionnaire alcoolique (Harry Myers, amusant) sont, certes, amusantes… mais symbolisent le problème d’un film qui manque de matière et a besoin de ce running gag pour se relancer continuellement, au risque de sombrer dans le répétitif attendu. Difficile, également, de trouver une véritable cohérence dans "Les lumières de la ville" au vu des séquences assez hétérogènes proposées. En effet, outre les multiples séances de murge avec le millionnaire, Charlot
se réveille dans un monument fraîchement inauguré, est embauché dans un combat de boxe, affronte des cambrioleurs ou, encore, va en prison
… Tout cela manque un peu de rigueur ou, tout simplement, de thème aisément identifiable. Ceci étant dit, je suis, sans doute, un peu trop dur avec "Les lumières de la ville" qui a, pourtant, marqué son époque et reste dans les mémoires des cinéphiles. Il est vrai que le film marque un vrai tournant dans la carrière de Chaplin qui, pour la première fois, affiche clairement ses convictions politiques en dénonçant frontalement les dysfonctionnements de la société américaines (qu’ils ne faisaient qu’évoquer jusque-là). Le chômage et les inégalités sociales sont, ainsi, au cœur du récit et Chaplin ne fait pas mystère du camp qu’il entend défendre… ce qui lui vaudra de nouveau ennuis lors des purges maccarthystes. Et puis, le réalisateur sait se ménager des moments de grâce, comme cette dernière scène, d’une grande simplicité qui nous épargne des effusions inutiles... tout comme il sait nous proposer une nouvelle musique de haute volée. Je suis plus mesuré sur l’expérimentation du début du film avec le discours inaugural "parlé" façon charabia, dont on peine à comprendre l’intérêt dans la mesure où Chaplin s’était alors posé en opposant au cinéma parlant. "Les lumières de la ville" mérite, donc, d’être vu (comme tous les longs-métrages mettant en scène le vagabond) mais il reste, à mon sens, le moins bon film de Charlot.