La beauté est dans l’œil du spectateur.
Il y a toujours quelque chose d’ironique quand le cinéma traite de la cécité. Casé entre le Cirque, anecdotique mais fabuleux et Les Temps Modernes, chef d’œuvre absolu, les Lumières de la Ville est une forme de synthèse ou de transition. Au cœur du récit, le vagabond habituel qu’on appellera Charlot si on veut. Toujours sans le sou et toujours en marge, celui-ci arpente les trottoirs de la métropole. Un jour, il croise le chemin d’une belle marchande de fleurs. Celle-ci est aveugle et le prend pour un homme riche. Pour la conquérir, il va tenter de maintenir l’illusion. On sera de prime abord surpris par la sonorisation des dialogues des premières minutes. Une mauvaise idée à mon avis et on se demande bien pourquoi cette pauvre tentative a été conservée sur le début du film quand elle a disparu pour la majeure partie du métrage. Le prochaine tentative sera dans les Temps Modernes et ce sera toujours surprenant mais nettement plus à propos. Ces tâtonnements sont la traduction d’une recherche formelle à l’heure où le cinéma n’en finit pas de se révolutionner. Il y a donc ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qu’on comprend. C’est tout le jeu entre le vagabond et la pauvre marchande. Elle ne voit pas et ne peut se baser que sur ce qu’elle vit et ce qu’elle entend contrairement à nous qui voyons mais n’entendons pas. Cette illusion de la richesse n’a d’importance que pour Charlot car au final, la richesse n’est qu’un apparat qui compte peu. D’ailleurs, le personnage le plus fortuné du film est immensément riche et profondément malheureux, toujours au bord du suicide. La richesse ne peut donc pas être une fin en soi. Ce qui fait le charme de notre vagabond, ce sont en réalité sa bienveillance et sa prévenance. Et en effet, comme toujours, ce personnage est profondément touchant par sa fragilité et par la force qu’il dégage pour survivre dans un monde hostile et contraire à ses valeurs. A vrai dire, cette synthèse ne parvient pas à pleinement émouvoir ou à impressionner comme elle le devrait. Les gags sont piochés ça et là dans d’autres productions de Chaplin et même s’ils sont très bons, ils sonnent comme du copié/collé. A la mise en scène, on a connu Chaplin plus inspiré et les tours de force techniques ne sont pas légion. Reste une belle histoire que l’on suit avec plaisir, une romance assez touchante grâce à la fragilité des personnages et à leur incarnation par Chaplin et Virginia Cherill. Pour autant, le Cirque et sa fin amère et/ou apaisée ou les Temps Modernes et sa fin très optimiste décrivent une romance qui me paraît plus aboutie et au final réellement touchante. Un bon film donc, un bon moment à coup sûr mais pas la meilleure réalisation de Charles Chaplin.