Trumbo a deux qualités qui en justifient le visionnage. La première tient à la peinture d’un âge hollywoodien peu représenté jusqu’alors, dans la mesure où il est marqué par une chasse aux sorcières stérile et incessante pendant de longues décennies, les auteurs interdits continuant de travailler sous des noms d’emprunt. Aussi le long métrage adopte-t-il souvent, et fort pertinemment, un ton malicieux : les scènes avec Frank King s’avèrent désopilantes, l’accumulation des téléphones dans le salon du domicile Trumbo amuse, le jeu de chat et de souris entre les créateurs et les autorités parfois truculent. La seconde qualité tient à l’interprétation des acteurs principaux, Bryan Cranston et John Goodman en tête : ils confèrent à leur personnage une authenticité remarquable, une profondeur sensible qui fait d’eux non des fantoches mais des humains avec leurs défauts et leurs qualités. Nous regretterons alors que le long métrage de Jay Roach, engagé dans un mouvement de démystification, soucieux de rétablir le nom du vrai scénariste à l’origine d’œuvres mémorables, ne ternisse davantage son protagoniste éponyme : son communisme demeure superficiel, donnée de base à partir de laquelle le film se construit sans jamais le faire évoluer. Comme si être communiste et s’affirmer comme tel de la Seconde Guerre mondiale au début des années 70 ne connaissait pas de remous, de prises de position, de polémiques. Trumbo noircit des pages, Trumbo saute d’un bureau à un autre bureau, signe des contrats ; qu’en est-il de sa cause ? Réduite à un camarade rongé par le cancer, qui sert davantage de prétexte à un ultime discours larmoyant et réconciliateur. Taper aussi facilement sur Kirk Douglas ou John Wayne rend le film suspect, quasi hypocrite en ce qu’il charge autrui pour épargner son prétendu génie dont il s’agit dès lors de chanter la gloire. Il est d’autant plus dommage que Jay Roach échoue à nous convaincre dudit talent scénaristique de Trumbo : quelques extraits rapidement diffusés dans des cinémas reconstitués, des éloges dans toutes les bouches, des producteurs très offrants, tout cela peine à incarner ce don pour l’écriture. Il aurait fallu prendre le risque de la lecture : mettre en voix les scénarios, leur donner une place véritable. Comme si Miloš Forman avait, pour réaliser Amadeus (1984), banni les compositions musicales de Mozart. En résulte donc un film bancal et incomplet qui, en abordant l’un des scénaristes les plus emblématiques du septième art, pèche paradoxalement par son scénario linéaire et hagiographique.