Il en aura fallu du temps pour que le cinéma américain offre à Bryan Cranston un vrai grand premier rôle ! Il lui aura fallu faire ses preuves à la télévision pendant de longues, interminables années, faisant le grand écart entre « Malcolm » et « Breaking Bad », acceptant des seconds rôles à tour de bras pour qu’enfin, on lui offre ce rôle là ! Il est formidable de bout en bout dans le rôle de Dalton Turbo, grâce à lui, son personnage transpire l’intelligence, l’émotion mais aussi l’humour pince sans rire qui le rend attachant dés les premières minutes du film. Il est bien entouré aussi, par Helen Mirren, Diane Lane, John Goodman (à l’origine d’un des plus beaux et réjouissant « pétage de plombs » que j’ai vu au cinéma depuis longtemps !), James David Elliot (en John Wayne fort peu ressemblant), Dean O’Gorman (en Kirk Douglas très ressemblant), Elle Fanning et encore plein d’autres. Du point de vue du casting, il n’y a absolument rien à redire. Les seconds rôles sont même assez écrits pour leur permettre de bien s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. La réalisation de Jay Roach ne peut pas être, elle non plus, prise en défaut. La reconstitution est soignée, la bande son un peu jazzy très agréable et il y a des petites trouvailles intéressantes dans son travail de réalisateur, des jeux de miroir (son nom crédité au générique se reflétant dans les lunettes de Trumbo), une utilisation astucieuse des images d’archives, habilement mêlées à son film, tellement bien qu’on ne voit pas toujours la démarcation ! Non, techniquement c’est du cinéma de qualité, il n’y a rien à redire. Mais un film sur un scénariste sera évidemment attendu au tournant côté scénario, c’est inévitable. Le film se déroule sur une période de plus de 10 ans et Trumbo et les autres vieillissent au fil des minutes, le scénariste a choisi de raconter son histoire de façon linéaire et chronologique, sans artifices du genre flash back, pirouettes temporelles ou autres. Etant donné qu’il y a beaucoup à raconter et à montrer c’est un parti pris un peu sage mais qui se défend. Le scénario à la bonne idée de décrire sans complaisance le contexte hystérique (que l’on a peut-être un peu oublié aujourd’hui) du maccarthysme, son engrenage pervers qui obligeait les acteurs, les scénaristes, les réalisateurs, les techniciens à se dénoncer entre eux, entre amis, pour espérer sauver ce qui pouvaient l’être encore de leur carrière et de leur gagne-pain. Le maccarthysme (clairement teinté d’antisémitisme dans une scène sans complaisance, ce qui n’a pas toujours été dénoncé) y est dépeint dans toute sa bêtise et certains noms n’en sortent pas grandis, celui de John Wayne, celui d’Edward G. Robinson par exemple. Le premier y est décrit comme un type à la limite de l’extrême droite, le second comme un lâche. D’autres, en revanche, on fait preuve d’un vrai courage, le producteur Franck King, Kirk Douglas, Otto Preminger, dans un moment où il en fallait vraiment beaucoup ! « Dalton Trumbo » est un film très bien écrit, fort bien dialogué, historiquement intéressant et pertinent, qui traite les idées sans manichéisme et les personnages avec une vraie profondeur (celui d’Arlen Hild par exemple), d’un côté comme de l’autre. En résumé, voilà un scénario qui s’adresse à l’intelligence des spectateurs, ce qui est toujours une grande qualité à mes yeux. « Dalton Trumbo » est un film que l’on peut lire à plusieurs niveaux. On peut y voir une déclaration d’amour au cinéma et à l’écriture, on peut y voir la reconstitution historique d’une Amérique qui perd ses nerfs et ses valeurs fondatrices, on peut y voir aussi un film sur le courage des convictions que l’on porte et le prix qu’il faut parfois payer. Moi, j’y vois autre chose en plus, la preuve que le talent finit toujours, toujours par s’imposer. Le maccarthysme à érigé un mur autour de Dalton Trumbo, mais son talent, tel de l’eau, s’est infiltré partout, dans chaque fissure, jusqu’à pourrir ce mur de l’intérieur et à l’effriter. Et un mur imbibé qui s’effrite est un mur qui finit par tomber avec le temps, c’est physique, c’est inévitable.