Le jeune prodige québécois, du moins bon nombre aiment à le qualifier ainsi, fait à nouveau sensation, en prime time sur la Croisette, avec son nouveau long-métrage, Mommy. Xavier Dolan, si jeune mais pourtant si reconnu pour son indépendance artistique, livre un film touchant, troublant et par-dessus tout d’un réalisme absolument génial. L’accent du pays à la fleur de Lys aidant, l’immersion est totale et immédiate. Aux côtés d’une mère rocambolesque et de son fils, violent, imprévisible et inimitable, ainsi que d’une voisine mystérieuse, Dolan nous fait vivre le quotidien mouvementé de marginaux canadiens, banlieusards archétypaux à qui la vie n’a jamais offert le moindre cadeau. Blessés psychiquement, l’improbable trio se découvre toutefois des intérêts communs, une envie pressante de vie sans limites. Mais la folie douce mène-t-elle quelque part? Xavier Dolan, une nouvelle fois auteur d’une satire sociale, qu’il aime ici à ancrer dans un probable cadre législatif canadien, démontre qu’en dépit de son ancienneté toute relative, il s’adapte incessamment à tous ses caprices de metteur en scène.
S’entourant pour l’occasion de brillants acteurs du cru, le metteur en scène opte d’avantage pour l’art que pour le cinéma. En effet, resserrant ses plans en format 4/3 sur les visages tourmentés de ses protagonistes, le réalisateur officie d’avantage comme un artiste que comme un réel artisan du cinéma tel que nous le connaissons. Si le procédé peut s’avérer discutable durant les premières minutes, il apparaît très vite légitimé de par son réalisme, ne laissant jamais le public s’égarer vers l’arrière-plan futile, l’obligeant à plonger son regard dans celui de l’acteur ou l’actrice, n’omettant dès lors aucune émotion. On note parfois l’entorse au format, habile, lorsque l’espoir de jours meilleurs transparaît. Toujours en ce qui concerne la mise en scène, le cinéaste aime agrémenter ses images de somptueux intermèdes musicaux, en fond sonore, comme lors de cette magnifique escapade urbaine sur un caddy de supermarché, ou alors intégrée à la narration, je pense là à cette scène de détente à domicile sur un tube de la chanteuse nationale, Céline Dion.
L’amour pour son canada francophone natal, l’attrait de la complexité humaine, son envie de disséquer les émotions brutes font sans doute de Xavier Dolan un narrateur comme peu en existent encore. Pour autant, cette brûlante envie de raison, cet élitisme, peuvent porter préjudice au metteur en scène, souvent persuadé d’offrir l’unique vérité. En dépit du plaisir que l’on éprouve face à ce Mommy, Dolan s’évertue parfois à exagérer son point de vue, composant momentanément des plans illégitimes qui dénotent clairement dans le réalisme latent de son film. Parfois, en bref, le réalisateur en narrateur s’égare, un peu comme une sommité se perdant en théorème face à une assemblée captivée mais pour le coup perplexe. Ne crachons cependant pas dans la soupe, Mommy est sans conteste le drame humain le plus abouti ayant vu le jour l’année précédente. Petite bombe indépendante, sentimentalement très forte, bien supérieure à la moyenne, Mommy aura, à raison, fait parler d’elle, à Cannes, aux Césars puis finalement aux Oscars.
Pour terminer, Mommy ne serait pas Mommy sans les prestations impressionnantes de ses comédiens. Du jeune homme au naturel troublant au deux femmes, dont l’une déborde de charisme et de volonté, et l’autre de délicatesse et de tendresse, la palette de talent est complète. On ne connaît finalement, bien que francophones, qu’assez peu le cinéma québécois. Xavier Dolan s’impose alors comme l’ambassadeur de cette mouvance, artisan habile d’une contrée vaguement délaissée par l’univers du cinéma, du moins des studios de cinéma. Bref, de Mommy, nous en ressortons troublé, certains même seront réellement émus. Ça, en soit, c’est déjà un signe de talent, le signe d’un film indispensable. 16/20