Avec Night Call, Dan Gilroy nous entraîne dans une descente vertigineuse au cœur de l’âme humaine, où l’éthique et l’ambition s’affrontent sous les néons de Los Angeles. Soutenu par une performance hypnotique de Jake Gyllenhaal, le film oscille entre critique sociale et thriller nerveux, offrant une expérience cinématographique à la fois troublante et fascinante.
Le film s’ouvre sur Lou Bloom, un opportuniste sans scrupules qui découvre le métier de pigiste nocturne à Los Angeles. Equipé d’une caméra et d’un esprit calculateur, Lou filme des scènes de crime et d’accidents pour les vendre aux médias. Mais rapidement, sa quête du succès le pousse à manipuler les événements pour obtenir des images toujours plus chocs, franchissant des limites morales qu’aucun autre n’oserait effleurer.
Gilroy construit un scénario tendu, où chaque scène alimente une atmosphère de malaise. La force de Night Call réside dans sa capacité à refléter notre fascination pour la violence médiatique tout en critiquant la machine qui la nourrit. À mesure que Lou gravit les échelons, le spectateur est forcé de confronter une vérité inconfortable : notre propre complicité dans ce cycle.
Jake Gyllenhaal offre une performance phénoménale dans le rôle de Lou. Mince, les traits creusés, il incarne un prédateur nocturne, calculateur et inhumain, obsédé par l’idée de réussir à tout prix. Son sourire glacial et ses yeux perçants traduisent un mélange de charme et de menace qui rend le personnage à la fois fascinant et effrayant.
Les performances secondaires apportent une profondeur bienvenue. Rene Russo, dans le rôle de Nina Romina, incarne une directrice d’information froide et calculatrice, prisonnière de la course à l’audience. Riz Ahmed, touchant dans le rôle de Rick, le maladroit assistant de Lou, sert de contrepoids émotionnel, soulignant la froideur du protagoniste principal. Chaque acteur enrichit l’univers du film en ajoutant des couches de complexité.
La ville de Los Angeles, filmée de nuit, devient un personnage à part entière. Grâce au travail méticuleux du directeur de la photographie Robert Elswit, la cité des anges est transformée en un labyrinthe scintillant et oppressant, où les ambitions humaines s’entrechoquent dans un décor étouffant. Les prises de vue larges et les compositions précises capturent l’étrange beauté de ce paysage urbain nocturne, renforçant l’ambiance néo-noir du film.
La bande originale de James Newton Howard est également un élément clé. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, la musique accompagne souvent les actions immorales de Lou avec des tonalités triomphantes, traduisant l’euphorie qu’il ressent dans sa quête de domination. Ce contraste musical renforce le malaise du spectateur tout en soulignant la psychologie déviante de Lou.
Night Call va au-delà du simple thriller en explorant des thèmes complexes. À travers le parcours de Lou, le film critique le capitalisme débridé et l’absence de limites morales dans un système obsédé par le profit. Le journalisme sensationnaliste est ici dépeint comme un miroir des désirs les plus sombres du public, soulignant la relation symbiotique entre une industrie avide d’audience et une société fascinée par le morbide.
Cependant, le film ne tombe jamais dans la moralisation facile. Il se contente de présenter un monde où l’éthique s’efface devant les besoins économiques, laissant le spectateur tirer ses propres conclusions. Cette neutralité narrative renforce l’impact de son propos et donne à Night Call une profondeur rare.
Bien que brillamment construit, Night Call n’est pas exempt de défauts. Certains spectateurs pourraient trouver son rythme lent par moments, et son absence de conclusion morale peut laisser un goût amer. Mais c’est précisément ce refus de suivre les conventions qui rend le film mémorable. Il ne cherche pas à plaire, mais à provoquer une réflexion, à déranger et à rester gravé dans l’esprit.
Avec Night Call, Dan Gilroy signe un premier film impressionnant, qui allie un commentaire social incisif à une mise en scène élégante. Jake Gyllenhaal, dans l’un des rôles les plus marquants de sa carrière, est le pilier de cette œuvre audacieuse. À la fois captivant et dérangeant, Night Call est une plongée fascinante dans les ténèbres de l’ambition humaine et un portrait glaçant d’une société prête à tout pour le spectacle.