En adaptant Georges Simenon, Mathieu Amalric construit son film comme un dédale de pièces et d’espaces qui peinent d’abord à s’emboîter pour faire un tout harmonieux : la chambre bleue est située dans un hôtel, porte 3 ; elle est le lieu de l’adultère, le tribunal du couple où les amants se jurent une fidélité qu’ils tiendront malgré eux, enfermés ensemble, et cela en dépit des hésitations de Julien. Le bleu, ce bleu qui orne la chambre à coucher, c’est aussi le bleu des murs judiciaires, avec deux abeilles éloignées l’une de l’autre mais que la caméra rassemble en un même plan. Le bleu, le rouge aussi. Il y a la tache de sang sur support blanc, la serviette de bain que laisse pendre au balcon Esther, puis la tache de confiture sur l’ordinateur portable. On le comprend, les couleurs ont une valeur symbolique essentielle, elles préfigurent les liens qui réuniront les personnages et réunifieront l’enquête. La Chambre bleue passe l’amour-passion au crible d’une morale d’État incapable de la saisir et, par conséquent, déterminée à éradiquer cette bigarrure, ce mal qu’il faut punir parce qu’il est inconnu. Mieux vaut stagner dans une relation platonique où les non-dits scandent un quotidien marqué par sa violence sourde et silencieuse, une violence qui rejaillit par petites explosions successives, à l’instar de ces jeux d’eau qui dégénèrent. Mathieu Amalric compose une œuvre à l’érotique ravissant et tourmenté, une œuvre qui colle aux deux amants pour les mettre à nus, exposer leur intimité au grand jour, en place publique. Le scandale politique cristallise en réalité les frustrations accumulées par ces hommes et ces femmes incapables d’assouvir leurs fantasmes, coupés de la volupté essentielle à l’amour. Pendant l’interrogatoire, les questions fusent et se répètent, désespérément : les enquêteurs sont autant de jaloux qui déguisent mal derrière leur sérieux les blessures secrètes et les rêves interdits. À l’amour fou, on oppose le factuel, les faits monsieur, rien que les faits. Où étiez-vous ? Pourquoi avoir pris cette route ? Amalric et le film tout entier répondent à ces interrogations d’une seule et même phrase : je ne sais pas. Éloge bouleversant du droit à reconnaître qu’on ne sait pas, qu’on ne comprend pas ce que l’on vit, mais que l’on vit hélas, et c’est là la plus belle des aventures.