Ce film de par son ambition ultra-réaliste pour dépeindre le quotidien à la fois haut en couleurs et glauque de jeunes filles noires issues des banlieues défavorisées s’enferre hélas trop dans cette réalité faute de la transcender. En effet, dès le départ, leurs comportements évoquent un désir paradoxal, à la fois, de retour aux racines tribales par le biais d’attitudes et cris d’animaux ainsi qu’un désir inaltérable de nouveauté et d’affranchissement social. Tout ceci en réaction à cette soumission aux hommes laquelle s’avère non seulement trop ostentatoire mais les précipite d’autant plus dans une schizophrénie les faisant alterner tantôt vers des statuts de bourreaux intimidantes tantôt de victimes désarmantes.
Les seuls autres acteurs de confrontation qui s’offrent à elles s’érigent comme étant d’autres congénères, leurs familles et une représentation très accessoire et transitoire du système éducatif. Mais sont relégués totalement au titre d’abstraction tous les « autres », en l’occurrence la société dans sa diversité sociale, morale et culturelle. En effet, nous ne partageons leur réalité qu’en comapgnie de leurs voisins de cités ou familles au détriment de réelles confrontations avec des individus étrangers à leurs microcosmes.
Entre racket, décrochage scolaire, vols à l’étalage et pugilats verbaux et physiques, à défaut de passer en section supérieure,
ces filles excellent en section « loubardes » exigeant d’elles des singulières aptitudes.
Ce qui est dommage, c’est que ces rebelles manquent cruellement d’idéaux hormis l’instinct de domination sur les autres, les réunions intimes et festives à l’écoute des chansons de Rihanna et la séduction facile. Leur misogynie qui leur est inspirée avant tout par leurs familles et les hommes du quartier les empêche de faire évoluer leurs préjugés. Quand l’une prétexte à l’autre la perte de ses cheveux par l’assaut injuste d’une coupe faite par un père irrespectueux et tyrannique, elle passe sous silence la difficulté d’assumer la perte de féminité et donc d’identité au travers de l’absence de perruque les obligeant à affronter leur image véritable. Quand elles revoient leur ancienne acolyte de bande devenue jeune mère, on en vient à se demander si l’alternative n’est pas trop réductrice sur les opportunités d’épanouissement personnel : maternité ou délinquance ? Les études semblent hélas exclues de par l’aspect faussement émancipateur des 2 premières échappatoires où règnent alternances de rivalités et de réconciliations par lesquelles leurs égos faillibles ouvertement « surdimensionnés » se construisent.
Ainsi, à l’instar de quantités de films relatant les dérives propres à l’âge ingrat et ce d’autant plus dans un cadre et une époque difficile, la fascination procurée par ce film fonctionne d’autant plus chez leurs semblables mais aussi chez les spectateurs qui ne sont pas régulièrement exposés voire importunés par leurs frasques. En effet, ils appréhendent le film comme une plongée unique et inédite dans un monde inédit à l’image d’un documentaire traitant d’une couche de population trop longtemps négligée. L’approche ethnologique du film a beau permettre ce regain d’intérêt, la dimension personnelle de renouvellement positif et constructif à travers des valeurs pas si idéalistes telles que l’élévation intellectuelle et spirituelle qui aurait pu nous faire sublimer leurs vécus et psychés est vraiment trop sous-exploitée.
Et malgré les deux occasions au cours desquelles on les voit se balader et se réunir hors de leurs cités nous renvoient à chaque fois à leurs invectives bruyantes et agressives avec d’autres bandes de filles noires, la réalisatrice laisse dans la plus totale abstraction les réactions des gens autour, en l’occurrence les usagers du métro et le tenancier de la sandwicherie. Ils sont comme littéralement « gommés » et tenus complètement à distance face aux bruyantes élucubrations destructrices de toute tranquillité et donc de respect des autres. La totale absence de feed back des gens autour les fait apparaître tels des amazones fières et insouciantes de mortifier tous ceux amenés à les croiser. En faisant la part belle à une telle impunité d’attitude, le film perd en crédibilité voire pire, semble la cautionner.
Faute d’accepter de pouvoir continuer à mener sa vie d’amazone urbaine, le choix de vie que fait l’héroïne Marieme paraît une fois de plus trop partial en offrant un choix de vie des plus manichéens : vivre avec son amoureux le bonheur trop lisse des gens normaux ou la « liberté » de se livrer à un mode de vie marginal.
En voulant fuir la répétition des mêmes schémas, et surtout ceux liés à sa condition féminine qu’elle trouve aliénants, Marieme s’enferme dans leurs équivalents masculins, propres au marchés parallèles rendant sa quête d’identité encore plus douloureuse.
C’est pourquoi, je crains que ce film vienne conforter les groupes de filles (Les fatous) issues de ces communautés noires de banlieues qui n’ont hélas rien à envier à leurs homologues masculins en termes de comportements, belliqueux, provocateur et fortement bruyant. En effet, les mettre en scène a certes, le mérite de dénoncer un univers difficile jalonné d’humiliations, de désespoirs et d’agressions dans lequel ces filles sont contraintes de surnager et d’exister. Mais ce film, en exaltant cette part de folie dont elles peuvent faire preuve dans leurs quotidiens et à tout moment (pourvu qu’elles soient en groupe) pourrait aussi leur donner raison de se complaire dans des positions frisant parfois l’hystérie révélatrice de leurs psychés en construction dont elles usent et abusent à l’égard non seulement des machos traditionnalistes et injurieux ainsi que de leurs rivales féminines mais aussi à l’égard de tout individu mécontent ou porteur de regard désapprobateur à l’égard de leurs attitudes. En effet, le simple fait d’être importuné par leur bruyante, extravagante et souvent excessive exubérance de groupe (parmi lequel elles se sentent surpuissantes) et de le leur manifester peut déchaîner leurs foudres. J’ajouterais que si l’individu en question a l’inconvénient d’être de race blanche, de sexe féminin et d’un âge jeune à moyen, la
recrudescence de leur mépris et de leur animosité peut s’avérer d’autant plus forte.
La seule "babtou" (femme blanche) à laquelle les filles se confrontent s’incarne en une vendeuse de vêtements soupçonneuse de les voir déambuler lascivement à travers les rayons en recherche d’opportunités pour commettre quelques larcins. Or, même s’il n’y a rien d’exceptionnel à ce qu’une vendeuse après réception de consignes soit méfiante à l’égard d’une bande de filles aux regards à l’envie et la frustration un peu trop appuyés, cette confrontation ne fait que mettre davantage en exergue une interprétation au détriment de l’autre au risque d’en déséquilibrer la portée morale : la discrimination raciale pousserait les jeunes issus de l’immigration aux actes délictueux par revanchardise et goût pour la provocation gratuite. Pourtant, bien sûr, ce parti-pris implicite n’est pas défendable pour autant que l’élan du groupe soit tout aussi responsable il n’en est hélas non moins blâmable.
C’est pourquoi, pour ce film, il serait important, en parallèle à son encensement pour ses qualités et l’originalité de son sujet, d’en signaler les éventuelles dérives en termes d’influences sur les sujets réels représentés…
J’en veux pour preuve que celui ou celle qui n’a jamais ou a été trop peu confronté à l’extrême égocentrisme et à l’arrogance, en clair, à l’impolitesse dont certaines font preuve notamment dans les gares, magasins ou lieux publics situés dans les grands axes de transport en commun tels que Chatelet les Halles ou St Denis, vont voir ce film en marge du problème identitaire d’une partie de la société dont elles sont le symptôme. Et ils resteront ainsi au sens propre comme au sens figuré de simples spectateurs…
A l’exception de l’avoir vécu et subi soi-même, en ayant eu l’audace, le courage (ou la bêtise diront certains) de les interpeller et de les affronter dans le seul but de les inviter à modérer en public leur exubérance. Crime de lèse-majesté oblige, leurs réactions est que tantôt elles se foutent « superbement » de vous d’un air méprisant agrémenté de rires de mouettes ou vous crachent au visage toute leur rage et leur inculture (références socio-culturelles bling-bling et fautes de français à l’appui) pour traumatiser le/la pauvre quidam ayant osé perturber leur tranquille impunité. Car au final, ces bandes de filles, en recherche d’identité et d’affirmation de soi, à force d’être maltraitées, ont la fâcheuse tendance à faire de leurs réflexes de défense une réaction systématique à l’encontre de la moindre personne en désaccord avec leurs comportements. C’est ce qu’on pourrait appeler un amalgame de paranoïa relationnelle…
Alors, oui ce film est salutaire s’il permet de sensibiliser les gens (voire les intéressées elles-mêmes) à un réel problème de société inquiétant sur l’aliénation morale et mentale que subissent ces jeunes filles noires tout en dressant les jolis portraits qui se cachent derrière leur masque social en vertu duquel néanmoins elles s’inventent un personnage à la fois glorieux et populaire mais hélas peu compatible avec la vie en collectivité. Car à force de compenser leurs complexes à travers une conviction de supériorité ouvertement assumée qui les font se prendre pour des déesses, elles ont tendance à se transformer trop souvent à la moindre petite remarque ou regard agacé en effrayantes hyènes, une image révélatrice de leur surenchère émotionnelle assez indigne pour des demoiselles en quête de respect…
Par conséquent, ce film serait intéressant s’il ne prenait pas le risque (assumé ou pas) de servir d’exemple pour les jeunes noires en terme d’attitudes, de collusions et de choix de vie pas si épanouissants qu’il n’y paraissent sous peine de les exclure un peu plus d’une société à l’indulgence limitée.