Indiscutablement brillant sur le plan technique, le nouveau film du mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu aura conquis les grands esprits, récompensé qu’il fût par l’Oscar du meilleur film et quelques autres considérations prestigieuses. Composition de plans séquences techniquement audacieux, fourmillement de talents dans une certaine forme de huis clos artistique, Birdman aura réussi à trouver l’écho d’un grand film auprès d’un public toujours d’avantage formaté, ici convaincu de suivre une cure de remise en forme psycho-artistique. Oui, le cinéaste, prestigieux, s’il en est, ne s’en cache pas. Il critique ouvertement, et avec la manière, l’association du business et de l’art, de l’Entertainment et du cinéma. Profitant de la stature de son acteur principal, icone passée dans la peau du super-héros par excellence, Michael Keaton, le metteur en scène propulse l’acteur de cinéma sur les planches de Broadway, la star dans la peau du travailleur de l’art. Déchu, étiquette bouffon de superproductions, Riggan, note frêle gaillard, lutte contre sa psychose et toutes les mauvaises intentions de ses congénères pour livrer une pièce digne d’un talent qu’il n’est pas convaincu de posséder.
Poète dans l’âme, techniquement irréprochable, le réalisateur mexicain livre un film dans la lignée de ses précédents, sensibles, mystérieux, intimes, tous des films chorales en revenant sans cesse au sens de la vie. Mais son coup d’éclat, pour l’occasion, est sans doute d’avoir su s’entourer d’acteurs absolument impeccables. Michael Keaton, bien sûr, génial de charisme et d’humanité ravagée, qui aurait mérité, amplement, sa statuette personnelle, mais aussi Edward Notron, à la hauteur de quelque unes de ses plus belles apparitions, et Emma Stone, touchante mais d’une rare solidité, font le film, font vivre toutes les bonnes intentions et idées du metteur en scène. On notera une bonne prestation de Zach Galifianakis, presque surprenant, d’une Naomi Watts plus que sérieuse ou encore les apparitions plus futiles d’Amy Ryan ou d’Andrea Riseborough. En somme, un casting cinq étoiles au service d’un réalisateur qui comptait bien, par la sensiblerie de son propos, bouleversé notre regard sur monde du divertissement à l’américaine.
Confrontant, dans l’esprit, Hollywood et ses mondaines célébrités à Broadway, ses salles de théâtre guettées par des critiques assassines, en somme, comparant la célébrité au métier d’acteur, comparant Los Angeles à New-York, Inarritu parvient à toucher la corde sensible de l’Amérique du show-Business, et la nôtre avec. Pour autant, dans son élan artistique parfois troublant, le réalisateur manque de tranchant. Laissant parfois sa caméra errer parmi des protagonistes, certes captivants mais pas toujours attaché à un scénario limpide, le réalisateur ne parvient pas toujours à faire éclater les sentiments voulus. Dans une certaine forme d’abstrait, d’élitisme, le réalisateur mexicain semble avant tout vouloir démontrer sa certitude de détenir la vérité absolue, s’appuyant en pivot sur la culture qui l’entoure, ne se privant jamais de citer les Blockbusters à la mode, les acteurs populaires qui font le buzz. Bidrman ira même jusqu’à lancer un véritable débat, en sourdine, sur les réseaux sociaux.
Tout est beau, tout est maîtrisé, mais tout n’est finalement qu’abstrait. C’est sans doute là la vision d’un artiste, bien avant celle d’un réalisateur. On apprécie l’indépendance d’esprit du monsieur, on ne peut que louer ses techniques de mise en scène. On ne peut pas passer à côté des interprétations magnifiques des comédiens. Mais l’on ne peut non plus se résoudre à crier au génie, le film ne s’adressant qu’à ceux qui croient, comme son metteur en scène, à l’absolu nécessité de tout remettre à l’art, sans substance. Victorieux d’estime en 2014, pas sûr pourtant que Birdman fera date, si ce n’est dans les registres et si ce n’est pour Michael Keaton. 13/20