Pour son 3ème long métrage visible (je fais abstraction de Guitarrmongot, introuvable), Ruben Östlund laisse de côté son oppressante analyse des phénomènes de groupes en situation de harcèlement pour un drame plus intimiste mais tout aussi oppressant à partir d'une situation somme toute banale : une avalanche maîtrisée se produit à quelques mètres de la terrasse d'un restaurant où une petite famille suédoise classique et aisée prend son repas ; si tout se conclut sans heurt, sans même le moindre bris de verre, un détail dans la réaction du père vient bouleverser les certitudes de la mère.
Côté réalisation, l'auteur rétrécit ses plans séquences et les rend plus fluides, quitte à perdre ce qui a fait l'originalité visuelle de ses deux premières créations (Happy Sweden (De ofrivilliga) et Play). La musique (l'Hiver de Vivaldi) n'est présente qu'à l'entame des chapitres (dénombrant les journées de ski) ainsi qu'à d'autres rares moments et quelques magnifiques images de la montagnes nous sont offertes, entre les coups de canons d'avalanche et le ballet des chasse-neige qui dament les pistes, comme des pauses pour relativiser le drame qui se joue entre les deux protagonistes. On obtient ainsi un film un peu plus classique dans sa conception, oserais-je dire un peu plus français, mais toujours avec le talent d'Östlund pour faire monter la tension au fil du récit.
Ce talent, il tient précisément dans le scénario où les quelques dialogues et les silences, portés par des acteur·trices parfaitement dirigé·es, nous mettent face aux contradictions du modèle suédois (que quelques rageux appelleront "woke" et qui n'est finalement que l'évolution logique d'une société civilisée). Ici, il est clairement question de la position de l'homme viril dans un environnement où les codes ont changé et changent encore, visiblement trop vite pour le principal protagoniste qui tente vainement plusieurs postures, entre le virilisme, la manipulation, les larmes, le dialogue, la tolérance, sans jamais comprendre la seule chose que sa femme attend : de l'écoute. Ce dialogue de sourds semble être, par ailleurs, au coeur de l'oeuvre commençante d'Östlund.
"Je suis la victime de mon propre instinct", phrase prononcée désespérément par Tomas, le mari et papa perdu, résume bien cette lutte interne, entre lucidité et victimisation. La fin, enfin, sonne comme une sorte de rédemption et, peut-être, un consensus possible : un homme peut se comporter en être civilisé sans cesser d'être viril.