Franchement je dois bien avouer que je m’attendais à pire, à bien pire, je n’aime pas et je n’ai jamais aimé Eli Roth, je trouve son cinéma vulgaire et facile, ce projet Green Inferno qu’il trainait depuis plusieurs années en faisant face à la censure américaine laissait tout de même des interrogations, voire des fantasmes, le sujet est ouvert à diverses idées en matière de mise en scène, Cannibal Holocaust avait ouvert la voie avec un des premiers found footages horrifiques ou d’autres séries B davantage classiques, le réalisateur en revendique même les influences, banco. Les derniers extraits comme celui de l’arrivée au village des indigènes m’ont même assez plu, je m’imaginais un truc bien malsain et très brut, mais j’avais aussi peur de la trivialité de l’utilisation du gore de Roth, au final le résultat est surprenant, enfin pas forcément dans le bon sens du terme, quoique …
J’ai du mal à en ressortir un réel ressentiment, en toute sincérité je ne peux absolument pas dire que j’ai détesté le film, je n’ai jamais lâché l’écran des yeux donc à partir de là c’est intimement positif, on sent au fil du long métrage que Roth a de la suite dans les idées, même si je me suis longtemps questionné sur le fond de cette histoire, car ça joue la série B décomplexée à fond la caisse pendant un bon moment, voire même en quasi intégralité. Je pense que le plus important est de se préparer à quelque chose de léger en terme de ton, c’est sans doute aussi moi qui ai été assez naïf d’espérer autre chose de la part du réalisateur, perso je voulais du pur premier degré, de la tension de fou, de la peur primale, atteindre un degré de morbide rare au cinéma, il me semblait que tout était en place pour répondre à mes attentes. Mais en fait pas du tout (ou presque, toujours cette petite nuance), j’ai été obligé de m’adapter tant bien que mal, et on se rend compte assez rapidement que le type va jouer la déconne, notamment la petite parenthèse sur la judéité de l’amie de l’héroïne, ça n’a rien à foutre là mais c’est assez marrant, comme cette manière de décrédibiliser les activistes écolos, avec du recul on en revient à la même idée, celle de la communauté cloisonnée et enfermée sur elle même, qui renie au moindre mot ou réflexion de travers, plutôt malin.
The Green Inferno raconte donc l’histoire d’un groupe de militants partant pour le Pérou où la mission est de rendre au monde des images via streaming pour incriminer une multinationale s’apprêtant à détruire toute une ancienne civilisation en déboisant la forêt, Justine en fait partie, elle les a rejoints pour ses convictions mais aussi pour les beaux yeux de son fondateur. Arrivés sur place ils s’enchaînent à des arbres pour empêcher les bulldozers de faire le sale boulot, la jeune femme se retrouve en quelque sorte piégée mais finie par les faire involontairement plier, sur leur trajet de retour au dessus de la jungle leur avion s’écrase, les survivants sont capturés par une tribu d’indigènes cannibales.
Ce qui m’a principalement posé problème c’est avant tout la mise en scène et les dialogues intégralement gérés par Roth, j’ai trouvé la première partie du film franchement poussive et scolaire, les bases sont posés hâtivement sans aucune subtilité, on commence à nous instaurer un triangle amoureux passablement agaçant à l’avance, certaines scènes ont même peu d’utilité mise à part pour générer des pseudo gags malvenus comme celle du mec qui va pisser pour se retrouver chatouillé par une tarentule, on comprend que Roth ne cesse de se foutre de la gueule des activistes, ça n’était pas forcément nécessaire de dériver vers cette sorte de collégialité. Le premier ancrage arrive lorsque Justine se retrouve avec un flingue sur la tempe, où elle est directement confrontée à la cruauté qu’elle ne soupçonnait pas, à partir de là c’est intéressant, et tout le reste du film va tourner autour de ce sentiment de revanche presque inconscient contre son propre camp, c’est l’idée centrale en fait, jusqu’à quel prix une vie humaine peut valoir ? L’actrice est même attachante (elle arrive à retourner totalement son rôle de peste de Knock Knock), on n’a aucun mal à éprouver de l’empathie pour elle, contrairement aux autres qui sont montré comme à moitié nigauds et paradoxalement matérialistes, Roth prend plaisir à les défoncer, mais encore faut il être saisi par cette même opinion, idéologiquement et formellement.
La tribu cannibale et tout ce qui l’entoure est très certainement l’aspect le plus réussi pour ce qui est de la vente du projet de base, celui qui ne déçoit pas, le fameux passage de l’arrivée au village des prisonniers est excellent, on voit la peur dans leurs yeux, l’incompréhension, encore à moitié dans les vapes sous l’effet du poison des fléchettes, c’est la meilleure séquence en terme de mise en scène, enfin de ce que j’en attendais, c’est tendu, évasif, terrifiant, un vrai cauchemar ! Mais ça ne pouvait pas durer très longtemps, Roth nous a aussi promis du gore et il nous en donne avec une joie non dissimulée, c’est assez atroce et j’ai plutôt aimé, c’est dans la continuité et la logique de ce qu'on veut nous faire ressentir, nul doute qu’on aimerait pas être à leur place ... Mais c’est ensuite que le film m’a perdu, puisque de manière incompréhensible la mise en scène repart vers le second degré et le potache (la meuf qui a la chiasse ou le mec qui se branle), tout est rendu presque ridicule alors que ça ne devrait pas (enfin à mes yeux), c’est trop facile, dans ce genre de situation il y a de quoi être tétanisé et livide de peur, mais ils discutent comme au café, je n’ai pas compris, surtout qu’en plus Roth a lui même admis lors d’une interview qu’il s’était inspiré de Apocalypse Now, bonne blague quand même.
Et pendant un bon moment le réalisateur va nous conditionner à ce relâchement et à cette décomplexion narrative, le projet ne tient plus vraiment debout et c’est dommage de tomber dans ce genre de vulgarité, je veux bien qu’il persiste à s’accrocher à sa série B et qu’il refuse de se prendre au sérieux mais les ruptures de tons ont malheureusement du mal à fonctionner, la dernière partie est même presque trop scénarisée (comme le rôle du gosse de la tribu), à défaut d’être finalement cohérent j’espérais une issue plus obscure et anticonformiste. Je trouve aussi que le caractère sacré qui découle du personnage de Justine par rapport à la tribu n’est pas assez appuyé alors que c’était assez intrigant et fascinant, la nana s’affranchit en quelque sorte de sa condition de femme occidentale, d’objet au service d’une cause hypocrite, le dénouement montre bien ça avec ce profond détachement émotionnel, comme une sélection naturelle. L’ironie est poussée assez loin quand on sait qu’à la base cette razzia partait juste d’un groupe d’activistes qui saoule un peu trop à nous réveiller le dimanche matin en gueulant à notre fenêtre, bon à vrai dire Roth n’a pas totalement tord, ça fait chier, surtout quand on a la gueule de bois.
Ce Green Inferno reste en tout cas à mes yeux le meilleur film de Eli Roth, le scénario d’apparence bête ne l’est pas tant que ça, le message est décryptable, le projet est un minimum malin, c’est uniquement son traitement qui m’a rigoureusement posé problème, et malheureusement ça gangrène inévitablement l’entièreté de l’œuvre, à trop vouloir jouer la dérision son film fini par se galvauder. Je pense que le spectateur y trouvera son bonheur dans l’optique qu’il choisira de lui accorder, tout simplement, j’attendais un truc oppressant, macabre et très sombre donc logiquement j’ai été déçu à ce niveau là, mais d’autres qualités en sont indéniablement ressortis, j’ai en tout cas passé un bon moment, mais le pur plaisir n'est resté qu'à l'état de fulgurances.