Il est certain que Fruitvale Station sert de plaidoyer talentueux à son jeune réalisateur encore si peu expérimenté : Ryan Coogler, qui enchaînera quelques années plus tard les succès chez différentes sociétés de distribution (Disney avec Black Panther et Creed pour la Warner), se sert d'un sujet polémique et politique pour faire part au public spécialisé son talent de réalisateur de film d'auteur indépendant.
Tremblotante, sa caméra pose la fragilité de son personnage dès cette introduction dévoilée sous forme de vidéos tirées du vrai drame : en connaissant dès les premières secondes le trajet que suivra Oscar Grant, le réalisateur/scénariste compte bien nous narrer la banalité de sa dernière journée couplée à références à son passé tumultueux, choix artistique qui pourra laisser de côté les plus intéressés par la psychologie et la préparation à la tragédie.
Paradoxalement, Fruitvale Station évoque plus l'existence sociale de l'homme que ses véritables dilemmes de vie, et restant trop en surface, propose une rétrospective un poil superficielle en deçà, en tout cas, de ce que les labels "film indépendant" et "tiré d'une histoire vraie" laissaient entendre comme prise de risque, comme ambitions, changements de code et narration en dehors des limites imposées par les grands studios.
Là où l'on suit le personnage principal dans les tâches quotidiennes de sa dernière journée d'existence, présentant à tour de rôles maints personnages qu'on sera forcément amenés à revoir, on ne peut s'empêcher d'y préférer les quelques moments de dialogue, de développement d'enjeux et de personnalité, d'humanité, d'intimité qui perlent à quelques endroits bien choisis et développent l'effet le plus attendu de l'oeuvre, l'émotion.
Forcément solidifiée par tout le travail d'ambiance chaleureuse rendue autour de cet homme ambitieux, elle se pointe au rendez-vous sur la fin, sans pour autant qu'on ne ressente de montée en puissance du drame : sûrement est-ce dû à la mise en scène constamment caméra à l'épaule de Coogler, certes bien cadrée mais jamais suffisamment inspirée et montée de façon efficace pour faire monter les larmes plutôt qu'énerver pendant une dizaine de minutes.
Raison de l'énervement, on ressent son manque d'audace jusque dans sa critique sociale : là où l'évidence même du concept poussait la conclusion à s'attaquer aux forces de police ayant abattu le jeune homme sans aucun danger potentiel érigé contre eux, il valait mieux éviter de tomber dans ce qu'il fait justement, élever ses personnages afro-américains au stade de héros cinématographiques, aux enjeux finalement plus proches de ceux qu'on rédige au cinéma que de ce qu'on peut vraiment vivre comme tiraillement d'avenir quand on veut se racheter, là où il rabaisse ses policiers en les caractérisant simplement comme des hystériques racistes, débiles aux gueules et look de nazis.
La décision de faire dans le caricatural enferme cette oeuvre indépendante dans la pire position à envisager : elle choisit un camp et s'éloigne de toute possibilité de narrer le drame de façon neutre, réflexive, juste. Beaucoup trop ancré sur une seule communauté (ce qui pouvait être à l'époque bénéfique pour l'avancement de la cause, car c'est de façon rétrospective que je critique ce point de vue), Fruitvale Station présente des clichés d'ordure racistes sans s'imaginer tempérer le profil en présentant leur fatigue, leur possible exténuement d'une soirée de travail qui les aura mis sur la défensive, les aura fait réagir n'importe comment.
Demeurant toujours en surface, il rate d'une certaine manière son sujet en présentant seulement la vie de la victime, là où il aurait pu, en se rajoutant un peu de temps de bobine et en se triturant plus la tête, porter un regard un poil empathique sur des policiers dont la caractérisation proche du fascisme ne fait, finalement, qu'attiser une haine sociale et ethnique dont on se passerait bien. Manichéen, mais important.