Perdu. Tout est perdu. Et pourtant : Aurora l'avait vu en rêve, cette fois ci. Un rêve étrange, qu'elle nous raconte, lunettes de soleil vissées sur les yeux, face caméra. Perdu. Tout est perdu. Elle a joué. Elle a perdu. Son argent. Son amour venu d'Afrique. Son paradis.
D'abord, on hésite. On ne sait pas. On se pose là, entre ces trois personnages, on ne sait rien. On ignore tout. Et pourtant, ces voix, on les entend encore. Et ces visages fermés ne disent, en revanche, rien.
Et puis, soudain, tout démarre. Il suffit d'un changement de plan pour suggérer le changement de pays, d'atmosphère, de vie. Un vieil homme raconte, parmi les bruits du blé et des champs africains, ce qui est parti et ne reviendra jamais. Et les voix, soudain, se taisent. Et les visages, soudain, s'ouvrent. Rire. Pleurs. Corps qui se mouvent. Yeux regardant les nuages qui dessinent, dans le ciel, des animaux contournés au crayon.
Tout dans ce film est une question de souvenir, de retour, d'oubli. Oublier. Ce serait si simple, d'oublier... Mais c'est impossible. Si les voix s'effacent, les visages restent. Ils nous regardent, de longues minutes. D'infinis nuances chavirent dans leur yeux gris. Tant de cris se devinent dans ces bouches qui se taisent...
Et cette fois, on le sait. On a vu. On a tout vu. On a vu Aurora seule, vieille, morte, perdue. Et c'est insoutenable, car on voudrait qu'ils s'aiment, qu'ils s'embrassent, se touchent, se caressent, s'envolent, fuient, courent, loin, ensemble...
Perdu. Tout est perdu. Et pourtant, tout semble là. Car Gomes, à la fin, ne revient pas au présent. Un travelling sur un paysage d'Afrique, et Tabou se termine.
Dans le noir, on se relève. Les lumières se rallument. Et que fait-on, alors, à l'instant, comme à tout les instant ? On se souvient. Encore. Encore et toujours, on se souvient. Car la vie et le cinéma ne sont qu'une suite de souvenirs. Des souvenirs qui fuient, doucement, sans bruit, à travers la savane d'un paradis perdu, d'un paradis rêvé, comme celui d'Aurora, il y a bien longtemps.