Version courte : On dirait du Terrence Malick.
Version longue : Il y eut un temps ou Terrence Malick savait brosser le sublime, en tutoyant des personnages rêveurs et désorientés, ancrés dans les profondeurs de l’Amérique. C’était un cinéma simple, et beau, accessible à tous, devant lequel il semblait bien facile de verser une larme. Un cinéma où la nature exaltait la spiritualité, où l’amour se livrait à une danse avec la caméra. C’est un temps qui aujourd’hui n’existe plus. Car Terrence Malick se jette a corps perdu dans un cinéma qui ne fait que caricaturer ses premiers films. Un enferment dont témoignent ses deux derniers (très) longs-métrages : « À la Merveille » et, depuis peu en salle, « Knight of Cups », où un homme et une femme courent, tantôt sur l’herbe, tantôt sur la plage, tout en bavardant sur une métaphysique de comptoir. Le réalisateur dégage désormais l'étrange impression d'avoir radicalisé sa forme, pour évaporer son fond.
Alors oui, parfois, « Knight of Cups » regarde droit dans les yeux le sublime. C’est magnifique, romantique, porté par une méticuleuse playlist, toujours en quête d’images et de sons. Et bien sûr la caméra d’Emmanuel Lubezki tournant autour des décors épurés … On dirait que l’air n’est pas si vide. Mais qu’arrive t-il a l’auteur de « La Ligne Rouge » ? Au metteur en scène de « La Balade Sauvage », l’un des plus beaux films de l’histoire ? Celui qui jadis avait tourné quatre longs-métrages en trente ans travaille désormais à la vitesse d’un Sono Sion, accumulant également les projets secrets. « Knight of Cups » est un film presque muet, quand les acteurs crient, parlent, chuchotent, on ne les entend pas, ils se parlent en voix off, le problème étant que c'est souvent verbeux et insipide. Mais un tremblement de Terre, des avions et une plage ne suffisent à réveiller l’intérêt que l’on aurait pu porter à ce « héros » tête à claque indissociable de son costume Armani.
On ne doute pas que Christian Bale s’ennuie à mourir de sa vie. On le voit blasé par l’amour qu’il donne ainsi que par l’amour que lui portent ces belles femmes à moitié nues qui tournent autour de lui (Natalie Portman, Imogen Poots, Teresa Palmer, Freida Pinto… ma foi, pourquoi pas). On peut imaginer son mépris pour son métier prestigieux (scénariste), pour ces belles maisons d’architectes dans lesquelles il passe ses journées… on peut aussi imaginer qu’il n’aime pas rouler à toute vitesse dans une merveilleuse décapotable. En revanche, j’aimerai bien savoir ce que ça fait de vivre une vie aussi vide. Je peux l’essayer ? Dix, vingt ans ?
Pourtant, « Knight of Cups » se présente comme un film de son auteur. Exploration d’un idéal humain, quête spirituelle, fouille dans les tréfonds des sentiments, recherche d’une épiphanie. Le problème étant qu’à l’instar de « À la Merveille », Terrence Malick ne pose ici aucun regard neuf sur ce qu’il filme. Impossible de savoir si il a un objectif, ou bien si il est en panne d’inspiration. Régurgitant une atmosphère rendue artificielle par une esthétique de pub pour parfum ainsi qu’un montage elliptique s’imposant comme une vulgarisation pure et simple de tout ce qu’il a pu construire à travers sa filmographie. Il est ainsi fort probable qu’il soit tombé dans le piège de l’enfermement, car dans « Knight of Cups », Malick ne se contente de rien d’autre que de faire du Malick, sans repousser une certaine recherche filmique et échouant sur un rivage tristement stérile. Ainsi les images s’enchainent en pédalant dans le vide, sans qu’aucune atmosphère salvatrice ne vienne tuer cet ennui livré à lui même. De plus que s’imposent des similitudes souvent douteuses avec « La Grande Bellezza » de Paolo Sorrentino, qu’il s’agisse de la forme de l’histoire, de l’écriture des personnages ou l’ambiance tantôt festive, tantôt intimiste qui s’en dégage, dans ce monde ne tardant pas à épuiser toute sa grâce initiale. De plus que les personnages n'ont aucune racine sociale, ce sont des inconnus meublant un défilé d'une tristesse infinie.
Contrairement à « The Tree of Life », qui a achevé la période bleue de Malick en 2011, les artifices employés nourrissent ici une sensation instantanée, et non infinie, procurant une approche périssable plutôt que permanente. Malick semble également dégager toute son amertume envers Hollywood et ses villas hébergeant stars, mannequins, et autres créatures irrecevables. Il gonfle son dossier, plus qu'à raison. Mais peut-être est-ce finalement cela le message délivrer par « Knight of Cups » ? On y voit des photographes, des projections d'images creuses, publicitaires, des images « à la Malick ». Le cinéaste, également scénariste du film, accuserait-il les producteurs, les financiers (ou autre) d'avoir achevé son style ? Si c'est le cas, on pourrait au moins lui reconnaitre sa lucidité, celle de hurler sa détresse. Quoi-qu'il en soit, il est difficile de tirer quelque chose de « Knight of Cups », car passer ce passage, plus rien ne sera prononcer, les racines de l'arbre de la vie sont asséchées.
Les plans sont beaux, mais on a souvent du mal à leur trouver une pertinence. L'amour n'existe que sur un niveau spirituel, peut-être, mais il est dénué de chair. Si les acteurs ne jouent pas sans conviction, ils sautillent, pour nous rappeler que le sentiment amoureux est synonyme de joie. Mais alors, Malick se place tout seul dans le creux de la vague.