Malgré l'ennui et l'anesthésie émotionnelle auxquels m'a condamné ce dernier Malick plus expérimental que jamais, j'ai comme souvent, à voir tant de critiques élogieuses y trouver l'âme dont je le trouve dépourvu, ce doute éternel et gênant : et si je m'étais trompé, et si j'étais passé à côté ? Cet élan primitif de questionnement, qui est précisément ce que Malick recherche sans l'atteindre, découle de ce penchant humain sur lequel repose désormais à lui seul tout le cinéma de l'américain, ce qui le tient miraculeusement debout vis à vis de la grande part du public qui lui est encore acquise : la nécessité humaine de créer du lien, de donner un sens à ce qui n'en a pas et de recomposer en un tout les morceaux de l'existence sous peine de sombrer dans la perplexité la plus définitive, c'est-à-dire la folie. Ainsi, la démarche de Malick d'abolir tout récit pour matérialiser le vide d'une existence humaine soumise au révélateur de sa propre conscience doit déboucher vers un trip où l'image est la seule garante d'une possible prise à partir de laquelle le spectateur doit reconstituer des repères, plutôt sur la base de la sensation que sur celle de l'intellect. En poussant à reconstruire des repères impossibles à représenter clairement, dans une pseudo-démarche mystique qui fonctionne surtout grâce au besoin naturel d'en avoir, Malick prétend accéder à une dimension transcendante (un peu moins agaçante ici, parce que moins empreinte de religiosité et donc moins facilement reliée à un besoin maladif et hâtif de recourir à Dieu). Le problème, dont je ne comprend absolument pas que tout le monde puisse passer outre, c'est que derrière ce qu'on loue comme une dimension vitale et puissamment tangible, dont on dit souvent que Malick la "capte", comme s'il avait attrapé un oiseau au vol, se cachent des mécanismes grossiers qui trahissent de façon gênante la présence de l'auteur. Malick me donne l'impression de créer sur la base de ses besoins de croire en quelque chose qui le libère du vide qu'il prétend transcender, et surtout pas retrouver par sa caméra une harmonie oubliée qui régenterait le Monde. Un montage à la dynamique régulière et rapide, des scènes captées in medias res ; il en faut peu pour gonfler le banal d'une importance a priori vitale, et la formule peut marcher un temps, avant de se révéler tranquillement comme ce qu'elle est : une mantra répétée inlassablement pour s'arracher au monde, dans un mouvement laborieux et dangereusement autiste. A la rigueur, le vide cultivé pour lui-même peut me plaire, mais il aurait fallu pour ça viser quelque chose de beaucoup moins optimiste, de destructeur, comme peut par exemple le faire un Philippe Grandrieux, quelque chose qui révèle la difficulté à vivre sans prétendre y trouver le remède miracle, ni même assurer que celui-ci existe. A discourir sans arrêt sur Dieu, Malick prend également une fois de plus le risque de se heurter frontalement à son incapacité à mener sa recherche à bien. Par ces contre-plongées vers le Soleil comme par tout le reste, c'est bien d'une recherche qu'il s'agit, d'un mouvement encore inachevé. Mais Malick est beaucoup trop bavard (la voix-off et ses aphorismes en font beaucoup trop), multiplie trop les plans et les tentatives (les séquences symboliques, les passages de l'enfance pour apporter un cachet ontologique) pour ne pas donner l'impression qu'une fois encore, il cherche à construire une vision exhaustive qui ne laisse plus de doute quant à l'existence d'un liant aux brumes de l'existence. A faire autant de bruit, on dirait bien qu'il a décidément bien peur du silence qu'il prétend pourtant dépasser. Ce qui me repousse dans Knight of Cups, finalement, tient en peu de mots : je crois que Dieu, s'il existe, se laisse entrevoir subrepticement, au terme d'une longue recherche toujours incertaine. Pas à gros bouillon, dans un torrent d'images et de sensations qui prétendent toutes accéder à lui, et qui dans leur empressement maladif me laissent bien plus l'impression d'une vaine fuite de l'obscurité que d'un cheminement triomphant vers la lumière. On est loin du cinéma de Tarkovski...