Il y a une chose qui m'a toujours interpellé dans chacun de mes visionnages et qui me fait inlassablement revenir sur ce film pour y découvrir des détails qui m'auraient échappé : pourquoi Blade Runner est si profond et si inépuisable au fil du temps, alors qu'en l'espace d'1h50 d'autres longs-métrages peinent à faire démarrer leur histoire et s'enlisent dans des ambitions qui les dépassent, pourquoi donc ? Parce qu'il nous laisse prendre notre distance avec l'histoire, sans nous laisser l'oublier pour autant, ou du moins la sous-estimer, afin de se concentrer pleinement sur ces images magnifiques d'un monde qui se remet perpétuellement en question...
Blade Runner est une chasse à l'homme qui, à ses prémices, n'annonce rien de très innovant par rapport à d'autres films noirs, mais elle puise sa véritable énergie dans cette esthétique post-apocalyptique et ce sentiment d'une ville plongée éternellement dans la nuit. Point de lumière venant du ciel, si ce n'est ces centaines de stores et ces panneaux publicitaires qui illuminent des ruelles délabrées.
Outre mesure, ce qui me convient parfaitement avec Blade Runner, à bien égards, c'est cette facilité à me laisser en totale communion avec son univers, visuellement époustouflant, et avec lequel il n'est pas rare d'entretenir une réelle connexion, sans me laisser penser une seule seconde que le scénario est pompiériste. Sous ses airs d'œuvre surannée, Blade Runner démontre la psychologie de ses personnages, et notamment de ses réplicants, à la seule force de sa caméra, et non pas de son écriture : leur gestuelle ou les objets qu'ils exhibent, sont autant de moyens pour eux de montrer qu'ils sont prêts à tout pour gagner l'attention de leur créateur, d'une quelconque divinité supérieure, de leur Dieu, tout simplement, pour que la vie leur soit ainsi accordé. S'enfoncer des armes dans une partie du corps, prendre un serpent autour de son cou, mourir comme un ange déchu à qui on aurait châtrer les ailes, renvoyer son âme vers l'origine de son existence, vers les cieux. Plutôt que de chercher quelque chose au-delà du monde, quand cette chose justement se trouve simplement au plus profond de soi. Voilà quelques éléments qui exposent toute l'admiration qu'on peut avoir pour Blade Runner et ce dernier m'apparaît, indirectement ou non, pertinent dans ses démarches contre-utopistes sans jamais en dire trop, laissant parler ses images. Et force de constater que cela porte ses fruits.
Pour s'extasier devant Blade Runner, sans risquer l'overdose ou l'ennui mortel, il ne faut pas vraiment le limiter à de la pure science-fiction, il s'agit plutôt d'une histoire inspirée d'un mythe de Pygmalion, un sculpteur grec tombé amoureux de sa statue : l'homme tombe mystérieusement sous le charme de ses créations (les réplicants), pour fuir le monde qui l'entoure, surtout quand ce monde ressemble au Los Angeles de Ridley Scott. Et cette judicieuse inspiration, si elle en est une, gagne en tonicité grâce à une des plus grandes bandes originales que le cinéma ait jamais connu.
Aussi indispensable aujourd'hui qu'incompris à l'époque de sa sortie.