Je ne sais que dire, chaque film de Bruno Dumont est un petit événement en lui-même, simplement parce qu'il est le meilleur cinéaste en activité (bon en théorie Godard est encore en activité). Dumont a une vision du cinéma que j'adore, il est dans le non jeu, dans la beauté brute, dans quelque chose de bressonien. Pour le meilleur bien entendu.
Le seul film de lui m'ayant déçu c'était Twenty-nine palms. Il faudrait peut-être que je le revoie, qui sait ?
Mais là passer après trois films merveilleux que sont Flandres, Hadewijch et Hors Satan il fallait s'accorcher.
En fait ma principale crainte envers ce film c'était Binoche, bien que je l'aime bien (malgré des choix de films récemment qui sont bien nuls), mais elle ne colle pas avec le cinéma de Dumont qui est le cinéma des inconnus qu'on ne verra jamais ailleurs que devant sa caméra et du coup leur personnage pouvait exister.
Parce que le jeu d'acteur qui consiste à en faire des caisses pour imiter la vrai vie, genre Bale si tu me lis, je parle de toi (entre autres), c'est dégueulasse et inutile. Bresson n'avait-il pas dit (de tête) qu'un acteur qui joue César imite César dont le propre n'était pas d'imiter ?
Si justement et il a raison.
Crainte justifiée vu que Binoche a réussi à imposer à Dumont un coach pour l'entraîner à jouer Claudel. Berk.
Et du coup pendant toute la première partie du film je voyais Binoche tenter de jouer Claudel. ça me dérange moins de voir une actrice être elle-même ou dans un personnage, parce qu'on y croit, mais voir Binoche dans cet exercice périlleux ça ne m'a pas convaincu.
Mais malgré tout on a des fulgurances de génie chez elle mais surtout dans l'ambiance développée par Dumont. J'ai aimé dans cette première partie tous ces malades mentaux, ces bonnes soeurs, ça j'ai vraiment adoré, il n'y avait pas de tricherie (ou du moins je ne le sentais pas). Et que dire de la photographie ? c'est sublime, lorsqu'une pâle lueur vient éclairer le visage de Binoche qui mange se repas dehors parce que des malades tapent sur la table avec une cuillère jusqu'à que ça devienne insupportable, c'est bien, vraiment bien.
Petit à petit j'ai réussi à accepter Binoche dans le film. Et puis vient pour moi le clou du film : Paul Claudel, frère de Camille dont la venue était annoncée au début du film.
Le type habité par la foi. C'est quelque chose. Et non ici pas de contre jour + contreplongée dégueulasse, le type arrive, se met à genou et débite un texte beau à en chialer.
Là, j'ai retrouvé tout ce que j'aime chez Dumont. Et ce personnage est vraiment génial.
Il porte tout en scène, sans doute la meilleure du film où Camille se plaint à son frère de son traitement et la caméra zoom sur le visage de Binoche qui est beaucoup plus Claudel qu'au début et là mon corps tremble, vibre, ce zoom d'une lenteur et d'une précision qui vient met le visage de Binoche de plus en plus gros, de plus en plus énorme, on ne peut plus lui échapper. C'est insoutenable. Et elle se met à parler du bon Dieu, comme quoi il ne fait pas grand chose pour elle. Et là, on a Paul Claudel qui coupe court à la tirade de sa soeur en hors champ avec sa voix magnifique. Car non, on ne médit pas de Dieu. Oh putain c'était beau. C'était merveilleux.
Et durant toute la fin du film j'ai oublié mes réticences du début et j'étais heureux. Comme le baiser dans Hors Satan, j'ai été libéré de mes maux. J'étais bien, ce plan final sur Binoche aurait pu durer une heure… Pendant quelques secondes j'ai connu la plénitude.
Alors d'un côté oui je suis déçu et peut-être qu'avec Binoche je me suis monté la tête et pourri le film tout seul, mais putain quelle fin, quelle puissance. Quelle économie dans les plans, et encore ils auraient pu être beaucoup plus long.
Quelque part j'ai envie d'oublié ma déception et de dire que j'ai adoré, parce que j'ai adoré. J'ai même ri. Malgré tout ce que je peux reprocher au film (Binoche en fait), Binoche a quand même, avec Dumont, à me faire goûter au bonheur et ça personne ne pourra me l'enlever.