Un film vraiment perturbant, suffit de voir les réactions des spectateurs. Moi, j’y suis allée super partante - pensez donc, un long métrage de Leos Carax, après toutes ces années de silence - et j’avoue le début du film m’a pas mal décontenancée. Déçue même. L’ouverture déjà, mise en abyme assez laborieuse, et un peu cheap pour un styliste d’ordinaire aussi puissant. Ok, cette introduction se relit après coup un peu différemment, mais quand même : Un plan interminable sur une salle de cinéma, on devine dans la semi pénombre que le public est majoritairement âgé (sans doute un indice). Dans une chambre close, quelque part au bord de la mer, un homme, Carax lui-même, fait le tour de la pièce - là encore panoramique interminable sur les rideaux des fenêtres et le papier peint, une forêt de bambous. Un minuscule orifice, en forme de serrure, l’homme a un appendice en métal à la place d’un doigt, et punaise, c’est la clef de cette serrure. Une porte s’entrouvre dans la forêt de signes, il la force et se retrouve dans la salle du début, au balcon, surplombant le public. On est prévenus : « Holy Motors » c’est le regard de Carax sur le Cinéma. La machine à rêves vu d’en haut. Alors non, je n’ai pas aimé cette ouverture pompière et prétentieuse. Les chrono-photogrammes d’Etienne-Jules Marey suffisaient pour moi amplement à lancer le film, à dire cet amour du cinéma. Et puis, heureusement, Holy Motors démarre : Denis Lavant monte dans une limousine. Il est monsieur Oscar, homme d’affaires, et le texte de cette première scène, remarquablement écrit, sonne comme un écho réjouissant du Cosmopolis de Cronenberg. Le chauffeur est une femme, l’étonnante Edith Scob. Elle prévient Oscar qu’il doit se préparer pour son premier rendez vous. Oscar va fouiller à l’avant de la limousine. Attrape des vêtements, peigne longuement une perruque de femme. Et quand il sort de la voiture, il est méconnaissable : il est une devenue une vieille mendiante ! En fait, Oscar est un acteur, qui l’espace d’une journée va enchainer les rôles, habiter des histoires. La limousine est sa loge, sa roulotte plutôt. Chacun de ses rendez-vous est préparé et fait l’objet d’un dossier : Quelle est sa nouvelle identité, son nouveau visage ? Qui est la personne qu’il doit rencontrer ? Et quelle est la situation ? On ne sait pas qui est au juste est Oscar : Un émissaire du destin ? Un intermittent de la vie ? Mais ce mystère rend Holy Motors absolument captivant. Il jette sur nous-mêmes, nos petites et grandes histoires, un jour troublant. Et il nous interroge : notre vie n’est-elle qu’une succession de rôles ? Au début, je l’avoue, j’ai été déroutée par cette structure éclatée, et par un rythme languissant qui fait craindre d’être submergé par l’ennui. Mais non, c’est tout le contraire, le film avance crescendo, portant chaque fois plus loin l’émotion ou la jubilation, et je ne compte plus les séquences qui vont hanter pour toujours ma petit cinémathèque mentale : les accordéonistes, le retour d’anniversaire, la mort du vieil homme ou la scène de la Samaritaine, avec une sublime Kylie Minogue… Holy Motors est un très grand film !