Plus profond que "Shutter Island" et plus vrai que n'importe quel film annonciateur de l'apocalypse, "Take Shelter" transcende et fascine à travers une dimension dont le cinéma ne jouit pour ainsi dire, quasiment jamais. Et pourtant, rares sont ceux qui osèrent le voyage en salle obscure à la rentrée 2012. Peu voire carrément pas promu dans l'hexagone si ce n'est au Festival de Cannes, ce drame porteur de messages ne manque pourtant pas d'atouts pour se faire sa petite place au rang des chefs-d’œuvre contemporains.
Film d'auteur écrit et réalisé par Jeff Nichols, "Take Shelter" se base sur l'histoire d'un jeune marié et père de famille nommé Curtis LaForche qui se voit soudainement assailli par d'horribles cauchemars et visions préconisant une catastrophe sans nom. Ne partant pas dans les sentiers de l'action ou d'une quelconque intrigue de second plan, Nichols se focalise expressément sur la psychologie de son personnage central.
C'est dans cette optique que l'on découvre avec passion l'évolution et le questionnement incessant d'un homme en proie au doute se demandant de qui protéger sa famille ; d'une fin à caractère biblique ou de lui-même ? La réponse ne sera pas évidente et les interrogations subsisteront encore de longues années mais l'interprétation de Michael Shannon ne fait quant à elle, aucun compromis.
Endossant un premier rôle complexe et risqué, le justicier de "Boardwalk Empire" subjugue et emballe avec une facilité qui rappelle le cœur et le talent des grands noms de l'industrie hollywoodienne. Impressionnant encore davantage dans son jeu que par son charisme naturel, Shannon parvient à soutenir avec aisance le regard d'une caméra qui mise énormément sur ses comédiens.
Car effectivement, à l'inverse des autres productions cinématographiques, que ce soit d'hier ou d'aujourd'hui, qui parlent vite mais ne disent rien, "Take Shelter" s'arme de longs silence et de dialogues clairs et réels plus révélateurs que n'importe quelle réplique dite "culte" au sens souvent décevant et peu percutant.
Mais pour dialoguer il faut être deux, et c'est en choisissant une star d'aujourd'hui répondant au nom de Jessica Chastain, encore inconnu à l'époque, que Jeff Nichols pousse encore un peu plus loin son défit artistique. Dépassant de loin le statut de simple accompagnatrice, l'actrice américaine se surpasse pour nous offrir une prestation incroyablement forte et vivante qui, unie à l'efficacité de Michael Shannon, donnera des interactions stupéfiantes et prenantes qui vous retourneront l'estomac.
Côté scénario, les fans d'action et d'explosions feraient mieux de passer leur chemin car l'intérêt de "Take Shelter" réside uniquement dans le développement de ses personnages. Nous faisant découvrir la schizophrénie et la paranoïa avec bien plus de puissance qu'"Un Homme d'exception", Nichols nous balade entre rêves et réalité dans la simplicité de la forme mais dans la profondeur des mots.
C'est donc avec un script peu sujet aux rebondissements tels qu'on les connait que l'on progresse dans l'esprit de Curtis et que l'on vit avec sa femme et sa fille les difficultés d'une relation où tout peut basculer. Ne faisant pas exception à la qualité exemplaire du long-métrage, la forme a également son mot à dire. Que ce soit la mise en scène directe de Nichols, la musique psychédélique parfaitement mixée de David Wingo ou encore la magnifique photographie d'Adam Stone, rien n'y échappe et chaque élément trouve sa consécration devant une caméra remarquablement dirigée.
En résumé, "Take Shelter" est une leçon de cinéma comme on n'en voit rarement. Ne souffrant d'aucun défaut mais bien au contraire, usant de toutes les cartes qu'il avait en sa possession avec une terrible dextérité qui réduit à néant les cimes du coefficient de difficulté de la réalisation, ce monstre méconnu du genre épate et émeut dans la simplicité et la classe d’un travail magistral.