Un chapeau, un fouet, une veste en cuir, les premières notes du thème mythique de John Williams... et bim, ce sont tous les souvenirs d'une trilogie culte, vue et revue durant des années (de jeunesse ou non), qui déferlent à l'esprit en nous collant ce toujours même sourire indélébile à l'évocation du plus célèbre aventurier de l'Histoire du cinéma. On parle bien de "trilogie" car, comme beaucoup, le quatrième volet sorti en 2008, finalement avant-gardiste de la vague récente des suites tardives de franchises célèbres, ne nous était pas apparu comme un épilogue à la hauteur de ses modèles, ni même nécessaire ou pertinent par certains de ses choix nous ayant laissé sur une note de déception.
C'est donc avec appréhension que l'on guettait ce nouveau retour inattendu d'Indiana Jones, toujours avec son Harrison Ford d'interprète à 80 ans (!) mais, cette fois, sans Steven Spielberg aux commandes, remplacé par James Mangold, avec le vague espoir qu'il reproduise son superbe traitement de héros vieillissant pour "Logan" sur notre ami archéologue... Mais, à l'heure des longs-métrages en forme de "requels" carburant à la nostalgie la plus éhontée, le bonheur de réentendre claquer le fouet d'Indiana Jones se disputait à la très forte crainte de l'aventure de trop.
Ne tournons pas autour du Cadran de la Destinée, James Mangold s'en est plutôt bien sorti. De quoi égaler l'aura éternelle des films de la trilogie dans l'imaginaire collectif ? Non, loin s'en faut. Mais de quoi offrir une meilleure porte de sortie à Indy que le précédent long-métrage ? Oui, avec un vrai sens du divertissement bien plus emballant que son prédécesseur conçu pourtant sous égide "spielberg-ienne".
D'abord, il y a bien évidemment cette première partie située dans les années 40 qui pouvait justement laisser penser au pire question nostalgie facile, avec un Harrison Ford rajeuni numériquement et en train de virevolter comme à la grande époque contre des nazis. Cependant, si les plans sur le jeune Indy montrent toujours une inconsistance en termes d'effets réussis (un plan où l'on est sidéré laisse inévitablement place à un autre beaucoup plus gênant), cette introduction a le mérite de jouer avec tous les ingrédients les plus connus et aimés des films d'Indiana Jones lors d'une chasse ferroviaire à l'artefact qui montre clairement l'amour et le respect de Mangold pour ce qui est devenu l'essence d'un film d'aventure signé Spielberg dans l'esprit de tous.
Mieux, cette première partie au regard tourné vers le passé n'est pas juste là pour frotter le fan dans le sens du poil (bon, un petit peu quand même), elle s'impose comme le reliquat d'une époque révolue, manichéenne et porteuse d'espoirs encore naïfs qui va venir se fracasser à la réalité du quotidien d'un professeur Jones désormais très marqué par le poids des années et ressassant seul ses drames récents à l'aube des 70's. Le temps a passé et le temps va non seulement être au coeur de la quête à venir mais il va être aussi celui qui n'a pas épargné notre Indy, l'entraînant dans une époque où il tient un rôle presque obsolète, où plus rien n'est aussi lisible et évident qu'auparavant, que ce soit en termes de frontières entre le bien et le mal ou de motivations d'individus qui font rimer la soif d'aventure aux velléités matérialistes les plus discutables... À commencer par sa filleule Helena (Phoebe "Fleabag" Waller-Bridge) qui va justement remettre Indy sur la route d'un ex-ennemi nazi (Mads Mikkelsen) devenu un savant protégé par les autorités américaines pour leurs recherches spatiales.
Comme on pouvait s'en douter, le comportement arriviste de cette filleule et les objectifs tordus de cet Allemand autour d'un mystérieux cadran fabriqué par Archimède vont réveiller la fougue impétueuse de l'archéologue pour une dernière aventure qui va bien sûr multiplier les péripéties aux quatre coins du globe.
Peut-être un peu trop d'ailleurs car, en voulant à tout prix enchaîner les morceaux de bravoure (en rappel d'illustres autres pour certains), "Indiana Jones et le Cadran de la Destinée" va en parallèle nourrir sa principale faiblesse: sa trop longue durée. En se focalisant sur le prétexte d'une quête aux MacGuffins pour en trouver d'autres plus importants, l'empilement de phases d'explorations ou de confrontations au camp opposé va vite s'apparenter à une sorte de buffet bien trop garni qui s'acharne à vouloir rassasier des ventres déjà repus. Certes, on a vu pire comme défaut, d'autant que cela permet de varier les décors et de développer les interactions entre les protagonistes, mais, si le divertissement est généreux, son agitation perpétuel autour de trop nombreuses missions annexes dans l'attente de la résolution de la principale encourt le risque d'engendrer parfois une certaine lassitude sur sa durée pharaonique de 2h34.
Heureusement, "Indiana Jones et le Cadran de la Destinée" fait complètement oublier ce sentiment avec la réussite de sa dernière partie.
Attendu mais tout de même osé par son jusqu'au-boutisme, le basculement habituel de l'aventure vers une dimension plus fantastique/SF remet les pendules à l'heure (enfin, pas littéralement pour le coup) sur le discours autour du temps qui passe du long-métrage en permettant à son archéologue de vivre éveillé son rêve ultime, ce qu'il a toujours effleuré au cours de son existence sans jamais penser pouvoir l'atteindre, comme une sorte d'apogée à son accomplissement personnel où, en compagnie d'un James Mangold manifestement tout heureux de mettre en scène l'improbable avec brio, Indy semble être arrivé au bout du chemin de sa propre destinée. Et, tout en s'amusant à nous faire douter du sort du personnage, une vraie émotion s'emparera des derniers instants du film, débordant sans mal sur un spectateur conscient que, quoiqu'il advienne de la franchise, lui aussi est en train de faire ses adieux à son aventurier préféré.
L'impression de retour manqué laissée par "Le Royaume du Crâne de Cristal" est donc définitivement gommée par ce "Cadran de la Destinée" où il aura fallu paradoxalement un autre que Steven Spielberg pour délivrer un épilogue à la hauteur de ce héros incontournable du cinéma.
Si la magie des films originels n'y est pas totalement pour emmener ce nouvel opus vers leur firmament, "Le Cadran de la Destinée" en aura au moins tutoyé l'âme pour permettre à Indiana Jones de partir avec les honneurs, trouvant en la thématique du temps une très bonne clé de voûte à un hommage et peut-être point final contemporain à la destinée de cet aventurier tant aimé, aux traits à jamais confondus avec celui de son acteur Harrison Ford.
Que ce soit au milieu d'un champ de bataille ou entre les murs d'un petit appartement, cet au revoir à Indy nous laisse sur de belles notes d'émotion et le sentiment du devoir accompli pour un film d'aventure se plaçant en plus nettement au-dessus de ses jeunes concurrents directs de ces dernières années. Ce bon vieil Indiana Jones n'avait décidément pas encore dit son dernier mot, James Mangold lui a permis de le faire avec la manière.