De "Même la pluie", l'affiche française retient une image, une seule, hautement (voire lourdement) symbolique, celle d'une croix fichée dans le ciel, tractée par un hélicoptère, surplombant les montagnes magnifiques de la Bolivie. Certes, l'image est forte, mais le film a plus à offrir que cela : "Même la pluie" est tout simplement la première (très) bonne surprise de l'année, et on est ravi qu'elle nous vienne d'Espagne et d'Amérique du Sud – de la part d'un auteur (et d'une femme!) relativement confidentiel à l'échelle internationale (Icíar Bollaín, déjà remarquée pour un précédent long-métrage sur la violence conjugale (le paraît-il terrassant "Ne dis rien"). Avant cela, il y a un scénario, et on nage dans des territoires plus connus puisqu'il est signé par le britannique Paul Laverty, complice de Ken Loach sur la moitié de sa filmographie ("Bread and Roses", "Sweet sixteen", "Le Vent se lève", "Looking for Eric"). Cela a son importance, puisque "Même la pluie" peut se vanter de son récit, d'ores et déjà sacré l'un des plus ingénieux de l'année. Soient Sebastían, un jeune cinéaste idéaliste (Gael Garcia Bernal) et son producteur cynique Costa (Luis Tosar), embarqués en Bolivie pour réaliser un film historique sur Christophe Colomb, son arrivée sur l'île d'Amérique, l'asservissement et le massacre des indigènes perpétrés par son équipage. Installée à proximité de Cochabamba, l'équipe de tournage a choisi les lieux pour ses paysages splendides et pour ses avantages financiers : dans ce pays en crise, où les Indiens Quechuas vivotent dans la misère, où de grandes multinationales ont trouvé le moyen de privatiser l'eau courante et de la faire payer aux habitants, les acteurs du coin sauront se contenter d'un modeste salaire. En d'autres termes, les figurants coûteront que dalle. Sauf que Sebastían et Costa ont mis les pieds en Bolivie au mauvais moment, durant les prémices de la ''guerre de l'eau'' : les natifs en colère entendent bien récupérer, par les poings s'il le faut, cette denrée essentielle qu'ils appellent ''yaku''. L'épisode socio-historique est véridique et remonte à dix ans, la ''conquête'' de l'eau par la population locale s'étant (en partie) résolue par de violents affrontements avec l'armée. On est bien chez Laverty puisque le scénario, ouvert aux réalités sociales de son temps, joue sur un triple niveau : celui de l'Histoire passée de la colonisation, de l'Histoire récente (et toujours actuelle) de la lutte des Boliviens, de la petite histoire des personnages fictifs et de leur tournage. Il trace ainsi des ponts entre 1492 et 2000, suggérant qu'en matière de déconsidération et de rapports de force, rien n'a vraiment changé pour les populations indiennes d'Amérique du Sud. L'idée n'est pas simplement forte sur le plan politique (et elle l'est, à coup sûr), elle se prête aussi à des effets purement cinématographiques qui renforcent son propos...
(la suite de la critique sur mon blog : http://mon-humble-avis.blogs.allocine.fr/)