« Une chose est certaine, avec un nom comme Abrahams, il ne fera pas partie du choeur à la chapelle. »
Cette phrase, prononcée par le chef portier du Collège Caïus d’Oxford plante le décor dès le début du film mais permet aussi, quand on regarde une telle œuvre culte plus de 40 ans après sa sortie, de croiser des interprètes qui ne se feront connaître que plus tard, à l’image précisément de Richard Griffiths (mondialement connu pour avoir incarné l’oncle Vernon Dursley dans la saga Harry Potter et qui aura encore un rôle dans le Greystoke de Hugh Hudson, 1984) ou encore Kenneth Branagh ou Stephen Fry, tous deux non crédités et dont ce doit être là les tout premiers rôles de figuration. C’est d’autant plus amusant que les principaux interprètes n’ont pas connu une carrière exceptionnelle : Ben Cross enchaînera les rôles dans des films de série B et Cheryl Campbell la télé, Ian Charleson, victime du sida, décédera sur scène à 40 ans, Brad Davis également séropositif disparaîtra à 41 ans, Nicholas Farrell sera plus en vue au théâtre et à la télé tout comme Alice Krige, et Nigel Havers, après quelques rôles au cinéma, sombrera dans une sorte d’oubli télévisuel et psychiatrique. Pour être complet, on ajoutera sir John Gielguld et Ian Holm, tous deux grandes figures du théâtre et du cinéma britanniques, d’une génération à l’autre. La tradition, c’est aussi, évidemment l’un des thèmes principaux du film : l’émergence du sport professionnel est dûment abordée, ce qui ne sied pas aux lambris et aux pierres polies de Cambridge. Un autre thème, on s’en doute, est l’antisémitisme déjà très en vogue dans les années ’20, plutôt esquissé, à travers les directeurs de l’Université et le passé d’Harold Abrahams, dont c’est surtout la judéité qui s’exprime, cette rage de se dépasser pour être reconnu à égalité avec les autres, tous faisant partie de l’élite de la société britannique.
Au niveau visuel, si l’usage des ralentis sportifs est devenu monnaie courante (c’est le cas de le dire), il faut reconnaître à la réalisation classique de Hugh Hudson d’être parfaite et d’en user aux bons moments, avec quelque chose à leur faire dire, afin d’équilibrer le récit pour nous offrir des moments absolument magnifiques, à l’image de la transe qui anime Eric Liddell lorsqu’il franchit la ligne d’arrivée, en littéral état de grâce mystique, répété sous plusieurs angles. La musique, encore révérée aujourd’hui comme étant sans doute la master piece de Vangelis, éternelle malgré les synthé estampillés années ’80, épouse littéralement la narration. Celle-ci a par ailleurs le talent de dresser une fresque historique en fond pour exposer des destins individuels et des personnalités affirmées. Un chef d’oeuvre classique d’équilibre, disais-je, un chef d’oeuvre tout court.