Giulio Andreotti a été surnommé l'Inoxydable, le Sphinx, le Bossu, Moloch, Belzébuth, le Renard, le Pape noir, la Salamandre, l'Homme des Ténèbres, l'Eternité, et Il Divo. Entré en politique en 1946 après sa rencontre avec Alcide De Gasperi, le fondateur de la Démocratie Chrétienne qui a gouverné l'Italie pendant cinquante ans, il a sans doute trop cru à sa propre maxime : "Dans les romans policiers, on trouve toujours le coupable. Dans la vie, c'est plus rare".
A l'inverse de Guédiguian et de son "Promeneur du Champ de Mars", Paolo Sorrentino a choisi d'écrire et de réaliser ce biopic d'un genre particulier sur un personnage encore vivant - et qui n'a pas apprécié le film (on peut comprendre pourquoi) et qui l'a fait savoir. Acquité en première instance, condamné à 24 ans de prison en appel, Giulio Andreotti a vu sa condamnation invalidée par la Cour de cassation ; il reste aujourd'hui sénateur (normal, il a été nommé à vie par Cossiga !).
Sorrentino ressent à l'évidence un mélange de fascination et de répulsion pour ce personnage hors norme, et ce n'est sans doute pas un hasard s'il a choisi cette période particulière d'une vie politique de plus de 60 ans, celle qui va de son échec à l'élection à la présidence de la république à l'ouverture de son procès. Contrairement au canon du biopic (ascension/déchéance/renaissance), il ne s'intéresse qu'à la deuxième phase, celle où tous les secrets accumulés pendant des décennies de compromissions et de petits arrangements ressortent au grand jour, et le film s'attache à dépeindre comment l'Inoxydable tente de résister tant bien que mal à ce tsunami.
A la vision du film, moi qui m'ai pas une connaissance particulière de la vie politique italienne, je me suis dit que si la composition de Toni Servillo était savoureuse (une silhouette de héron frappé d'un torticoli, la tête de Droopy encadrée par deux hublots, la démarche et la lividité de Nosferatu), elle devait forcément être un brin exagérée ; et puis la curiosité m'a poussé à chercher des vidéos du véritable Andreotti, et le modèle m'a alors paru vraiment très proche du personnage d'"Il Divo".
Le film s'ouvre (au sens d'une ouverture d'opéra) sur une suite de scènes virtuoses mettant en scène les morts violentes de quelques noms connus -ou moins connus- de la politique italienne : Aldo Moro l'imprécateur, le général Della Chiesa, le juge Falcone pulvérisé dans sa voiture blindée, des mafieux empoisonnés dans leurs cellules. On découvre ensuite Andreotti, la tête auréolée d'aiguilles d'or, ultime tentative pour lutter contre ses migraines récurentes et qui lui dessine une silhouette de Christ dérisoire dans son immense et sombre appartement. Puis on suit la promenade nocturne pour lutter contre la douleur qui le ronge, dans une Rome déserte, silhouette vampirique entourée d'une escouade de carabinieri en arme, sur le rythme apaisant de la Pavane de Gabriel Fauré.
La mise en scène brillante et baroque oppose en permanence la silhouette de sous-chef de bureau de province du président du conseil et la magnificence des palais de la république, poussant à fond la dérision du contraste, comme dans cette réception où presque tous les invités (quinquagénaires bedonnants et nymphettes) se trémoussent sur de la musqiue disco, sauf quelques impétrants qui font la queue pour pouvoir déposer une requête auprès d'Andreotti qui trône figé un canapé, flanqué de son épouse revêche.
Le film peine un peu à tenir la distance, et on peut décrocher au milieu de l'histoire, quand l'action se résume à de nombreux conciliabules dont les enjeux échappent au spectateur qui n'a pas fait Sciences Po, option histoire contemporaine de l'Italie. Heureusement, la dernière demi-heure retrouve le brio du début, avec les révélations des repentis et l'éclatement du clan des andreottiens qui donnent à nouveau prétexte à des scènes évocant une version burlesque de "Gomorra".
"Gomorra" et "Il Divo", deux films primés à Cannes, deux retours sur les plaies récentes de l'Italie, deux démonstrations de mises en scènes et deux traitements opposés illustrant le renouveau du cinéma transalpin qui nous a offert aussi ces derniers temps d'autres brillants retours sur le passé récent, comme "Golden Door" ou "Romanzo criminale".
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