Paolo Sorrentino nous refait ses " Conséquences de l’amour "(n’ayons pas peur de le dire, le chef d’œuvre de l’année 2005). Prouesses techniques, recherches visuelles, bande son innovante, empruntant aux musiques classiques, pop, rock et varietoches, donnant une ironie toute particulière aux images... La fluidité de sa caméra, parmi les plus remarquables au monde, frappe immédiatement les sensibilités, donnant un aspect mystique et éthéré à son œuvre. Grandiose pour les spectateurs enclins à ce type d’épate ou au contraire grotesque si l’on n’a d’indulgence que pour l’épure et le statisme, ce septième ciel sensoriel, forme évoluée de cinématographie en quête de complétude esthétique, est une expérience qui s’impose de par sa forme, sans pour autant sacrifier le fond, biographique et politique, d’une grande complexité.
Portrait grandiose de Giulio Andreotti, figure mythique et incontournable de la scène politique italienne de ces 40 dernières années, sept fois président du conseil, ministre à répétition, inquiété dans les années 90 dans de multiples affaires de corruption, accusé d’avoir commandité un assassinat de journaliste et d’avoir travaillé en sous-main avec la mafia, " Il Divo " s’introduit au cœur d’une personnalité complexe, que la réalisation tarabiscotée permet d’appréhender dans toutes ses contradictions. « Le divin », c’est lui. Surnommé aussi l’Inoxydable, le Sphinx, le Joli Petit-Bossu, le Pape noir, l’Homme des ténèbres, l’Eternité, Belzébuth..., il est le pouvoir et le contre-pouvoir à la fois. Dieu et le Diable. Il est un oxymore humain aux allures (et à l’allure) de Nosferatu qui glisse sur le sol et impose une carrure de tortue, toute bossue, certes frêle, mais d’une intensité glaçante. Un personnage respecté et haï, qui a tout connu, rencontré tout le gratin, et qui pourtant, malgré ses 300 000 rencontres, la constance du Pouvoir, un mariage avec une femme qu’il respecte, est cloîtré dans une solitude murale, proche de l’autisme du protagoniste tragique des " Conséquences de l’amour ", qu’interprétait déjà le comédien d’ " Il Divo ", Toni Servillo, tout bonnement épatant. Le réalisateur décrit l’univers foisonnant (le faste du pouvoir) et épuré (il se contente de choses simples et de plaisirs d’ascète) de cette figure errante qui a consacré son existence au Pouvoir. Il bâtit sa somptueuse réalisation sur des contradictions de style et de ton, pour nourrir l’ambiguïté d’un politicien qui tracte avec le Mal pour faire survivre le Bien, qui ne s’embarrasse d’aucune méthode et qui survit à tous les scandales avec une force insolente qu’on n’imaginerait pas provenir d’un tel petit bonhomme, vieux et ratatiné. Le cinéaste, face à l’absurde d’une condition humaine réduite à une carapace insondable, use de tous les artifices pour s’introduire dans l’homme Andreotti, justifiant ainsi la démesure d’une œuvre, où la vérité doit passer par l’onirisme, la reconstitution historique, et l’interprétation de l’artiste. Au final, Il divo fait office de miroir de la vérité glaçant et fascinant, qui ridiculise toutes nos personnalités politiques françaises au charisme paysan, face à la complexité d’une figure publique, irrémédiablement terrée dans le secret, dont le seul équivalent serait en France, et encore à un moindre niveau, François Mitterrand.