Il fallait qu'il sorte. Déstabilisé comme tout le monde par l'apparition d'un certain virus qui paralyse l'industrie, notamment les exploitants de salles, le nouveau film de Aaron Sorkin devait être vu cet automne. Quoiqu'il arrive. Rappel des troupes : Aaron Sorkin, l'un des grands scénaristes contemporains : The Social Network, Steve Jobs, la série À la maison-blanche (Merci, bisous). Il noircit les pages du script et fait chauffer la caméra ici. Derrière la caméra, c'est un festival de talents. Sacha Baron Cohen, Mark Rylance, Jeremy Strong, Joseph Gardon-Levitt, Frank Langella, Michael Keaton, Eddie Redmayne,...Et là je ne parle que des premiers noms sur l'affiche.
Avouez qu'il y a déjà bien assez pour préparer la saison des Oscars. Histoire d'appuyer bien comme il faut, le film s'attaquera au procès historique de plusieurs figures contestataires à la fin des 60's, alors que l'intervention miliaire au Vietnam déchire l'Amérique. Soit la période où le pays fut le plus déchiré...ex æquo avec l'actuelle. Besoin de vous faire un dessin ? Les Sept de Chicago a donc une signification particulière, d'autant plus que le scrutin présidentiel s'ouvre dans quinze jours. Et que son réalisateur n'a jamais caché ses prises de positions pro-démocrates.
Comme aujourd'hui, les motifs de contestation regroupent plusieurs courants : anti-guerre, hippies, progressistes, mouvements des droits civiques. Comme aujourd'hui, les institutions sont le terrain d'un conflit sur les fondements même des États-Unis. Et sur ce point, le brûlot de Sorkin rappelle un peu le documentaire tricolore Un pays qui se tient sage (réalisé par David Dufresne) sorti fin septembre. Car il ne suffit pas de réfléchir aux conflits politiques fissurant le pays de part en part, mais d'en saisir les dérives systémiques qui les perpétuent. À ce titre, on rit autant qu'on hallucine devant les scènes de prétoires (qui composent le cœur du film, évidemment), durant lesquelles on assiste aux viols répétés des droits constitutionnels par ceux-là même qui devraient les protéger. Sorkin se garde bien de généraliser cette corruption à tous les niveaux, mais le constat atteint comme une décharge en plein cœur : 5 décennies plus tard, même combat.
Le tout est emballé avec la ferveur qu'on attendait, même si le scénariste/metteur en scène n'a ni la maestria d'un David Fincher ni l'effervescence d'un Danny Boyle. Le choix d'un montage alternant les temporalités ou les tribunes populaires manque parfois d'harmonie et on peut également s'interroger sur la partie consacrée au Bobby Seale, qui est curieusement énucléée du film dans son dernier tiers, alors qu'elle fournit l'une des séquences les plus fortes. Il y avait beaucoup à dire, et manifestement Aaron Sorkin aurait peut-être dû recourir à certains infidélités historiques pour développer une narration plus eurythmique.
Rassurez-vous, les interprètes pallient cette faiblesse à merveille. Je vous le disais en intro et je confirme : des premiers rôles aux derniers figurants, ils sont merveilleux. C'est un pur délice de les voir railler, invectiver, et s'élever parmi les leurs. S'ils sont tous à féliciter pour ces joutes (la valeur ajoutée de Sorkin), Sacha Baron Cohen et Mark Rylance sont à mes yeux les plus impressionnants du lot. Difficile d'ailleurs de ne pas voir les rapprochements entre Baron Cohen et feu Abbie Hoffman, qui ont l'un comme l'autre choisi de provoquer pour réveiller les consciences. Espérons qu'un film comme Les Sept de Chicago parvienne au moins à remettre en lumière ces symboles qui ont fait de leur contestation un acte patriotique par excellence.