Quand on voit le film d’Aaron Sorkin sur Netflix, on se prend à vraiment regretter qu’il ne puisse pas être diffusé en salle, quel dommage de priver l’amateur de ce style de cinéma d’un grand film de ce calibre ! Aaron Sorkin, le show-runner de « the West Wing » et de « The Newsroom », le scénariste de « The Social Network » fait avec « Les 7 de Chicago » ce qu’il sait faire du mieux, un film très dialogué sans être bavard, engagé sans être caricatural, militant sans être manichéen, faisant la part belle aux idées, aux idéaux, quitte à être taxé d’idéaliste part les amateurs de cynisme. Sorkin déroule un film de presque 2h10 qui passe tout seul, on est même surpris de voir arriver si vite le générique de fin. Il prend le parti de ne monter les évènements de mai 1968 qu’au travers des flash back, le film commence directement en 1969 après juste quelques éléments de contextes (les images d’archives, ce n’est pas original mais ça fonctionne toujours). Ces flash back, justement, sont disséminés tout au long du procès pour juxtaposer les témoignages avec la réalité des faits, exposant donc clairement
les mensonges sous serment de la police de Chicago, les mensonges de la municipalité de la Ville, dont la responsabilité dans les évènements est lourde.
Peu de musique, juste à quelques moments dramatiques ou particulièrement édifiants, une réalisation volontairement très sobre, ce qui normal pour un « court movie » (film de tribunal en bon français). Mais quand même, il y a quelques scènes fortes qui interpellent (celle du bâillon, ou le témoignage de l’ancien ministre de la Justice) qui donne immédiatement envie d’aller sur internet vérifier que ce qu’on a vu à l’écran, de complètement fou, a bien eu lieu et que Sorkin n’en rajoute pas ! Vérifications faites, il n’en rajoute pas, il tord juste un peu la chronologie pour faire tenir son propos en 2h10 (le procès à duré plus de 150 jours quand même !). On peut peut-être, en pinaillant un peu, lui reprocher une scène finale un peu grandiloquente avec la musique et tout, mais allez savoir, il est peut-être là aussi tout près de la réalité. Le film a un casting assez pléthorique, dont on peut malgré tout tirer quelques jolies performances, celle de Jack Rylance surtout, en avocat pugnace, mordant, qui fait l’impossible devant une cour
volontairement et ouvertement hostil
e. Il y a aussi celle de Sacha Baron Cohen en hippie,
en apparence dilettante, en réalité bien plus pointu et intelligent qu’on ne l’imagine (son témoignage à la barre est un moment clef du procès)
, ou encore celle de Eddie Redmayne en militant démocrate désemparé par un procès qui ne correspond en rien aux valeurs du pays qu’il croyait connaitre. Le Black Panther incarné par Yayha Abdul-Mateen II est également un rôle fort,
mais il sort de scène au milieu du procès
. Joseph Gordon Levitt, un acteur que j’affectionne particulièrement, a le rôle difficile du procureur. Un petit regret, son rôle aurait pu être plus écrit, parce qu’on a du mal à la cerner. Il est jeune, peut-être a-t-il des idées peu éloignées des accusés, mais il est contraint par son travail à faire le sale boulot de l’administration Nixon. Si c’est un problème de conscience pour lui, cela aurait pu être montré de façon un tout petit peu moins ambigüe. Scénariste de son propre film, Sorkin sort en la matière l’artillerie lourde pour montrer par A+B combien ce procès est emblématique d’une époque. 1969, les sixties sont terminées, la toute nouvelle administration Nixon vient de se manger 10 ans de présidence démocrate et elle a le couteau entre les dents. Elle veut faire la peau à la contestation de gauche, toute la contestation et ce procès est une sorte de compilation de tout ce qu’elle exècre, les hippies chevelus, les militants démocrates idéalistes, et bien entendu, les Black Panther. La présence de Bobby Seale, alors qu’il ne participait que de façon très marginale aux évènements, est clairement là pour « donner au jury un noir à condamner »
et ce qui va lui arriver lors du procès prouvera que dans les têtes de l’Amérique Blanche Républicaine, la ségrégation est encore bien ancrée
. Le Président du Tribunal, incarné par Franck Langella, est soit partial, soit incompétent, soit au début d’une dégénérescence sénile, soit les trois en même temps. Sa conduite des débats parait parfois surréaliste à tout le monde (y compris au procureur !), il est celui par qui l’ambiguïté sera levée, ce procès n’est rien d’autre qu’un procès politique, en 1969, dans la démocratie qui se targue d’être le plus grande du monde. Si certains croyaient au début être jugés normalement, pouvoir honnêtement se défendre, et faire établir la réalité des faits, ils perdent leurs illusions de minutes en minutes.
Le spectateur, qui ne connait pas l’histoire, attend un coup de théâtre qui ne vient jamais
. Le film de Sorkin traite d’une époque, 1969, mais son propos est sacrément moderne : la doctrine du maintient de l’ordre, la liberté de manifester, la justice aux ordres, les violences policières, tout ça résonne en 2021 de façon assourdissante ! « Les 7 de Chicago » est un film de cinéma qui n’a pas la chance de connaitre la grande salle obscure, mais c’est malgré tout un bon film, un très bon film un peu « à l’ancienne », comme « Spotlight » l’était dans son genre. On voit trop peu à mon gout du cinéma de ce calibre depuis quelques années.