Une main féminine est crispée sur une poignée de porte de voiture qui attend à un feu rouge sous la pluie. Quoi de plus banal. Le feu dure, et le simple geste, répété mille fois dans la vie quotidienne, d’ouvrir ou non cette porte devient décisif de ce sera le reste de votre vie. Francesca a dans son champ de vision les deux hommes de sa vie.
Francesca est italienne, du sud, et vit au fond de l’Iowa, elle est passée sans transition d’une culture rurale à une autre, mais elle ne s’y sent pas si mal dans ce monde simple, où tout le monde vous connait, et vous respecte tant que vous ne violez pas la morale rigide du modèle familial établi. Son mari Richard, quasiment absent de l’écran, rode pourtant derrière chacune de ses phrases.
Eastwood va nous parler que d’amour et de passion pendant deux heures et de rien d’autre. L’arrière-plan est rural, mélancolique sous le soleil couchant, les ponts en bois du Comté de Madison, un vrai sujet photographique pour amateur éclairé, mais on reste ici bien loin des paysages ébouriffants que l’Amérique peut offrir. Il ne se passe rien d’autre dans Madison County, bercé par le rythme des saisons et des récoltes, alors Francesca rêve un peu.
Les ponts couverts de Madison ne sont-ils pas un goulot de passage entre les deux rives qui se font face dans chacun d’entre nous. D’un côté, la rive de l’amour-passion, puissant, merveilleux, instinctif, éphémère, envoutant, irrésistible et celle de l’amour conjugal apaisé, rassurant pour soi-même et les enfants, tendre, inextinguible. Francesca est au milieu du pont, et Eastwood nous raconte qu’elle aime les deux rives : “ I was acting like another woman, yet I was more myself than ever before”
Comme souvent dans ses films les plus aboutis, Eastwood aime filmer des histoires où il n’y a pas de vérité simple, blanche ou noire, pile ou face, la destinée humaine est faite de compromis, et les gens heureux sont peut-être ceux qui acceptent de vivre en paix avec les choix qu’ils ont faits.
Francesca nous parle de sa vie remplie de détails, du vide laissé par ses enfants –subtilement utilisés pour faire progresser le scénario en même temps qu’ils découvrent que leur mère était aussi une femme. Meryl Streep et Clint Eastwood incarnent magistralement et sans emphase cette rencontre improbable, et pourtant indispensable.
TV3 - décembre 2023