Un projet comme "Tokyo !" interpelle forcément. La confrontation de trois points de vue sur une même ville étrangère peut donner lieu à des ambiances diamétralement opposées. Avec trois artistes à la personnalité bien marquée comme Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-Ho, l'écart se trouve en effet être flagrant. Que ce soient à propos de leurs thématiques récurrentes, de leur traitement de l'image, des relations humaines ou même de leur nationalité, les trois hommes ont peu en commun. C'est pourquoi chaque film se doit d'être noté séparément, jugé à lui seul comme une oeuvre complète. Les trois fragments du film sont indépendants mais lient pourtant entre eux trois réalisateurs partageant leur amour pour l'une des plus belles villes du monde.
"Interior Design" de Michel Gondry : 7/10
Dans "Interior Design", Michel Gondry insuffle son caractère rêveur, et ce même dans un environnement terne. Le court métrage commence comme commencerait n'importe quel drame nippon. C'est l'histoire d'un couple qui débarque à Tokyo avec des rêves plein la tête, mais sans le capital nécessaire à la réalisation de leurs envies. Ils n'ont pour bagages que leur amour et leurs rêves. C'est pourquoi les amants trouvent refuge chez une amie tokyoïte. Le film paraît comme un simple reflet de la vie japonaise d'aujourd'hui, avec ses joies et ses désillusions. Pêle-mêle on y retrouve les thèmes du chômage chez les jeunes, de la précarité de certains logements citadins, du spleen lié à une nouvelle vie... Bref, la vie n'est pas de tout repos, surtout pour la jeune femme. Après deux tiers classiques dans le fond, Gondry surprend en retrouvant ce qui fait sa plus grande force : sa douce folie. La transformation de la jeune femme, non dénuée d'une certaine beauté, est l'illustration de son mal-être, la concrétisation lui permettant de se sentir chez elle à Tokyo. Une jolie fin teintée de poésie et de mélancolie.
"Merde" de Leos Carax : 4/10
Leos Carax ne fait rien comme tout le monde, comme l'atypique Holy Motors nous l'a entre-temps prouvé. Son "Merde" ne ressemble en rien à un hommage à la capitale japonaise. Des trois court-métrages composant "Tokyo !", celui de Carax est le plus provocant, et à mon sens celui le moins dans le thème. Plutôt qu'un film sur une ville et ses habitants, "Merde" est un film sur un personnage, un occidental perdu parmi des japonais, rendus étrangers dans leur propre pays. Leos Carax ramène même un français dans son film, ce qui n'est je pense absolument pas le but d'un tel projet. Bien qu'absolument génial et fascinant dans ses actions, Mr.Merde ne colle pas. Les dix premières minutes permettent de bien présenter le fou personnage, qui déambule dans les rues en accomplissant divers larcins. La séquence est avare de dialogues, mais riche en émotions. Et finalement le personnage phare de Leos Carax se fait attraper, le français débarque, et le réalisateur se sent obligé d'expliquer sa créature. Le court-métrage devient alors bavard, ridiculement long et inintéressant. L'intrigue aurait pu se dérouler n'importe où ; le maigre lien avec le Japon devient en effet de plus en plus infime. Leos Carax a une personnalité tellement forte qu'il se trouve incapable de réaliser un film sur commande lié à une ville. Enfant terrible qui refuse de se fier aux conventions ou réalisateur égoïste incapable de mettre de côté son ego pour mettre à l'honneur une culture ?
"Shaking Tokyo" de Bong Joon-Ho : 9/10 ?
Peut-être est-ce dû au fait de la proximité de la Corée avec le Japon, mais Bong Joon-Ho me semble être celui qui a le plus capté l'essence de Tokyo, lorsque l'on retire la première impression que l'on peut en avoir en tant qu'étrangers avides de tourisme. "Shaking Tokyo" est beau, poétique, triste et émouvant. Il est les trente dernières minutes qui font oublier la médiocrité de "Merde", il est le segment qui fait passer "Interior Design" pour une fade oeuvre de commande. Doté d'une esthétique irréprochable, comme souvent pour les films sud-coréens, le court-métrage de Bong Joon-Ho représente le mal-être enfoui des japonais de très près, à travers les pensées d'un hikikomori, un homme ayant choisi de vivre en reclus de la société. L'homme est touchant, ses réflexions et sa façon de ranger ses affaires personnelles permettent de ressentir une certaine compassion pour lui, sans savoir ce par quoi il est passé. Son quotidien monotone est sublimé par la caméra de Bong Joon-Ho, par ses plans répétitifs et sa façon de mettre en valeur les doux éclats de rayons de soleil. Mais cela ne va pas durer. Un jour, alors qu'il commande son habituelle pizza du samedi, le regard de l'homme croise celui de la jolie livreuse, un tremblement de terre survient, et son quotidien change. Un film beau, tant sur le fond que la forme, une oeuvre complète qui touche directement en plein cœur.