Le Canada anglophone sous la neige semble propice aux chroniques en demi-teinte sur des sujets délicats : après "Snow Cake" qui abordait l'autisme adulte, voici donc "Loin d'Elle" qui parle de la maladie d'Alzheimer et de ses conséquences sur la vie des proches. En effet, Sarah Polley a choisi le point de vue du mari : quand il ne peut pas rendre visite à Fiona, le spectateur n'a plus de nouvelles d'elle non plus, et notre surprise est la même que celle de Grant en découvrant la relation naissante entre Fiona et Aubrey.
Pour son premier film, Sarah Polley s'est souvenu avoir tourné avec Atom Egoyan et Isabel Coixet, et on retrouve la même pudeur pour parler de sujets graves, comme le deuil après la disparition des enfants d'un village ("De Beaux Lendemains") ou la mort annoncée de la mère ("Ma vie sans moi"). Elle évite toute la machinerie de l'émotion, limitant les mouvements de caméra au strict nécessaire narratif, se passant des violonnades habituelles.
Elle avance par petites touches, dès le départ : Fiona et Grant discutent à la cuisine, plaisantent de choses et d'autres, jusqu'à ce que Fiona aille ranger la poêle dans le réfrigérateur. Grant ne dit rien, va chercher la poêle, mais son regard vaut tous les discours. Il y a des phrases aussi, dans la bouche de Julie Christie : "Il y a parfois quelques délices dans l'oubli", puis plus loin, "Je crois que je suis en train de disparaître".
Et pourtant, ça ne prend pas vraiment. Est-ce la faute à un excès de retenue ? A moins qu'il ne s'agisse d'un défaut de construction, avec un flash back emberlificoté qui nous donne l'impression d'être dans le cerveau détructuré de Fiona ? Et puis il y a aussi quelques maladresses, comme ces images du passé en super-huit, ou cette redondance quand Fiona compare son cerveau aux lumières d'une maison qui disjoncteraient les unes après les autres, et pouf ! on voit les lumières de leur maison qui s'éteignent... On est loin de l'énergie qui traversait "Se souvenir des belles Choses", la faute à une narration trop en empathie avec l'effacement progressif des deux personnages.
La qualité du film réside plus dans certains détails, comme ce patient ancien reporter sportif qui continue à commenter la vie de la résidence comme un match de hockey, ou le sourire commercial de la directrice qui cherche à rentabiliser son dernier stage de communication, ou encore ce moment où Fiona, qui a pourtant déjà rejoint les malades les plus "évolués", dit soudain en voyant des images de soldats en Irak : "Comment ont-ils pu oublier le Viet-Nam ?" Et puis, il y a Julie Christie, toujours aussi belle, toujours aussi juste, qui réussit à imposer un personnage fort jusqu'à la fin du film, mais qui simplement s'éclipse de plus en plus. Elle réussit à repousser l'ennui qui s'insinue lentement par sa seule présence à la fois ironique et poignante.
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