Spartacus est LE film renié par Stanley Kubrick (si on excepte Fear and desire qui n’a pas été renié mais juste trouvé mauvais par son réalisateur au point d’en interdire la diffusion). En effet, on peut considérer qu’il est plus l’œuvre de Kirk Douglas que celle du réalisateur de L’Ultime Razzia : l’acteur est à l’origine du projet et est coproducteur (il déclara avoir passé 3 ans de sa vie à travailler sur Spartacus, ce qui prouve qu’il était loin d’être un simple acteur). Kubrick, quant à lui, arrive sur le tournage alors que celui-ci a déjà commencé : il remplace Anthony Mann, renvoyé au bout de 15 jours pour mésentente avec Douglas (la première séquence est signée par lui). Cela explique sûrement que le film possède un découpage très classique (il n’y a pas les très longs plans qu’on retrouve souvent chez le cinéaste) même si ce classicisme se fait de manière virtuose
(la séquence où les deux armées se font face est impressionnante par son ampleur, par son utilisation de la musique et par son rythme qui peut faire penser aux futurs films de Sergio Leone)
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Là où le film se distingue, c’est surtout par son discours. En effet, en pleine période de luttes pour les droits civiques, Kirk Douglas, homme très à gauche, choisit d’adapter le roman d’Howard Fats et de le faire scénariser par Dalton Trumbo, tout deux appartenant à la liste noire. Spartacus est donc plus une parabole politique sur la situation actuelle qu’une adaptation fidèle de l’histoire du gladiateur rebelle. Quand on étudie un peu la vie du véritable Spartacus, on se rend compte que celle-ci est très différente de celle montrée dans le film de Kubrick
: il était marié avant d’être esclave, il a été décurion, il n’était pas l’unique chef de la révolte, il cherchait plutôt à rentrer chez lui qu’à faire tomber Rome, ses hommes accumulaient les viols et les pillages sur leur passage, il est mort au combat et non sur la croix…
Douglas cherche surtout a faire un tract politique (là où Kubrick est souvent plus ambiguë dans ses autres réalisations) où on montre les manipulations que l’homme est capable de faire pour asservir les autres
: on offre des femmes aux gladiateurs transformant les esclaves en personnes profitant, eux-mêmes, de l’esclavage (ce que Spartacus refuse), les scènes de tractations politiques au Sénat ou en dehors sont nombreuses…
Toutefois, le résultat n’est pas pour autant un film tout à fait manichéen avec un héros complètement glorieux
: il perd dans l’arène face à Draba et c’est grâce à la rébellion de celui-ci qu’il survit, ce n’est pas suite au meurtre de ce dernier qu’il décide de se révolter mais à la vente de Varinia dont il est amoureux…
D’un point de vue scénaristique, on peut noter également que le film possède une scène très osée pour l’époque : celle des huîtres et des escargots qui possède très clairement des sous-entendus homosexuels (de manière beaucoup plus explicites que la célèbre séquence équivalente entre Ben-Hur et Messala dans Ben-Hur). Cette séquence sera d’ailleurs censurée à l’époque avec d’autres plans trop violents. Heureusement, de nos jours, nous pouvons assister au montage complet et revoir cette séquence même si celle-ci a dû être redoublée, la bande sonore ayant été perdue, avec toujours la voix Tony Curtis mais celle d’Anthony Hopkins à la place de celle de Laurence Olivier, ce dernier étant décédé depuis.
En effet, en plus de sa grandeur visuelle, il faut dire que le film de Kubrick possède d’un casting assez exceptionnel. Outre son acteur principal-producteur, il bénéficie des talents d’acteurs aussi prestigieux que Laurence Olivier, Peter Ustinov, Jean Simmons, Charles Laughton, John Gavin (qui 4 mois auparavant était à l’affiche de Psychose, rien de moins), Tony Curtis ou John Ireland. On peut d’ailleurs noter que parmi ceux-ci, plusieurs ont aussi connu une carrière de réalisateur, ce qui n’a fait que compliquer le travail d’un Kubrick encore un peu jeune face à de telles pointures.
Cependant, alors que ces conflits auraient pu entraîner un résultat hybride, Kubrick arrive à signer un péplum de haute tenue qui évite, dans la mesure du possible, le sentimentalisme un peu caricatural qui a un peu tendance à plomber ce type de films vu de nos jours. Le film contient même une séquence très marquante avec le combat dans l’arène entre Spartacus et Draba.
Ainsi, même s’il est permis de trouver qu’il possède un petit ventre creux pendant l’avancée de l’armée de Spartacus, ce film fait partie des meilleurs œuvres du genre avec Les Dix Commandements, Ben-Hur et Cléopâtre. De plus, il représente une date importante dans la carrière de Stanley Kubrick car, suite à son peu d’influence sur le tournage, il décida que désormais il serait le seul maître d’œuvre de ses films et posséderait un contrôle total de ceux-ci. Sans ce film, peut-être que Barry Lyndon ou Shining n’auraient pas le même visage.